Grégoire peut mieux faire, téléfilm produit par Arte en 2001, est en partie l’histoire de deux élèves de seconde, Grégoire et Ishem, dans un lycée coté à Marseille. Grégoire, mal dans sa peau, insolent, refuse de travailler en classe et s’oppose à toute forme d’autorité, professorale ou familiale. Ishem, fils d’immigrés algériens, est au contraire un excellent élève. Seulement voilà : la carte scolaire étant encore de vigueur, pour être admis dans ce lycée Ishem a dû tricher (l’endroit où il habite étant situé en ZEP). Lorsque la proviseur découvre la fraude, l’adolescent est interdit de cours. Tandis que Grégoire accumule les absences et les retards, Ishem prend la peine de venir, tous les jours, attendre devant la porte close où sont donnés les cours.
Par cette histoire, Philippe Faucon dresse entre autres le portrait de deux adolescences possibles. Grégoire est exaspérant de malaise : ingratitude physique, attitudes provocatrices et insolentes envers les adultes, difficultés à s’intégrer auprès d’autres adolescents… Nous comprenons que sa souffrance est due au complexe d’infériorité qu’il nourrit à l’égard de son frère, mais son comportement peut apparaître inacceptable et le rendre antipathique : né dans une famille aisée (même si le père vient d’être licencié), Grégoire rejette ce à quoi Ishem se désespère de ne plus avoir accès, une éducation de qualité. Ce dernier vit dans une cité d’un quartier défavorisé, avec sa mère qui se tue au travail pour lui payer les études auxquelles elle n’a pas eu droit, et sa grand mère qui s’occupe des tâches domestiques. Les parents de Grégoire sont désarmés devant l’attitude de leur fils, ils ne la comprennent pas et ne savent comment l’appréhender. La famille d’Ishem, elle, soutient ce dernier, l’encourage, fait ce qu’elle peut pour qu’il puisse réintégrer sa classe.
La mise en perspective des trajets respectifs de Grégoire et Ishem soulève notamment le problème du critère de sélection des lycéens. N’est-il pas inique d’obliger un élève brillant à aller dans une ZEP parce que son lieu d’habitation en dépend ? Le critère géographique n’échoue t-il pas à résorber les inégalités ? N’en créé t-il pas de nouvelles formes ? La proviseur intervient à plusieurs reprises. Garante de la loi, elle se contente de l’appliquer, même si elle dit le faire à contre cœur : Ishem a triché, il est renvoyé. Sinon, imaginez combien de gens vont se servir de son exemple pour resquiller! Autre argument, garder Ishem serait une injustice vis à vis des élèves dans le même cas que lui et qui n’ont pas été admis. À l’abri derrière de tels principes, simples, elle refuse d’envisager une solution adaptée au cas Ishem. Sans être vraiment détestable (elle dit regretter d’être « obligée » de prendre une telle décision), cette proviseur peut représenter ce qu’ont d’insupportables l’inflexibilité, le refuge derrière des règles strictes et non négociables. La majorité des professeurs ne fait pas davantage d’efforts, ils obéissent aux instructions de la direction et interdisent à Ishem de rentrer dans leur classe.
Les seules à se révolter contre ce qui arrive à Ishem sont de jeunes maghrébines de sa classe. À défaut de pouvoir changer les choses, elles font ce que leur bon sens leur dicte de faire, exprimer leur sentiment d’injustice devant ces portes qui se ferment sur Ishem. Ce groupe de jeunes filles ouvre le film sur une autre dimension que son intrigue et les problématiques qu’elle soulève. Naïma (Lynda Benahouda, l’interprète principale de Samia), Leïla et les autres, sont des personnages au sens où elles s’intègrent dans l’histoire fictive de Grégoire et Ishem. Mais elles sont peut-être davantage des adolescentes que Philippe Faucon a envie d’observer avec une approche toute documentaire. Pendant de longues scènes, il reste près d’elles, les regarde et les écoute parler, de leur vie au lycée, de leurs vacances au bled… Ces filles sont pleines de vie, visiblement bien dans leur tête et dans leur peau, et elles travaillent bien en classe. C’est ici le français (Grégoire) qui a du mal à s’adapter, les maghrébines étant parfaitement intégrées. Naïma est rayonnante : autant que dans Samia, Lynda Benahouda frappe par sa forte présence, sa franchise, son bon sens, son énergie, sa spontanéité. Drôle et touchante, elle donne autant de souffle au film que Grégoire lui donne de la pesanteur. Dans une scène drôle et pathétique, où Grégoire tente laborieusement de faire une déclaration d’amour à Naïma, c’est tout le décalage entre sa perspicacité à elle et sa maladresse à lui qui transparaît.
Les jeunes filles ne sont pas les seules à être objets d’une observation soutenue de la part du cinéaste. Ce sont elles qui reviennent le plus souvent, elles qui marquent le plus, mais tous les lycéens intéressent Philippe Faucon. Sur la pelouse pendant une pause, au self, à l’entraînement d’aviron… de longs moments, arrachés à toute diégèse, nous permettent de les observer, de faire connaissance avec eux. Philippe Faucon ne juge jamais ses personnages. Les pauses documentaires qu’il s’octroie parfois ne font ainsi que pousser à l’extrême sa posture d’observateur respectueux et le regard plein d’amour qu’il porte, ici comme dans ses autres films, sur ses personnages.