Avec Les Étrangers, un téléfilm issu de la ligne éditoriale réputée de Pierre Chevalier pour Arte, Philippe Faucon poursuit l’exploration de sa thématique phare : le sort des immigrés en France. Même si le récit intime de Selim est fortement ancré dans le contexte géopolitique des années 1990 : la guerre en Bosnie-Herzégovine, Les Étrangers a, comme on le dit pour le vin, « bien vieilli ». Les douze années qui le séparent d’aujourd’hui, font qu’il devient un document précieux du passé permettant d’éclairer l’actualité.
Formaté pour la télévision à une durée de 70 minutes, le scénario étonne par son rythme effréné et son souci d’efficacité. On entre aussitôt dans le vif du sujet, sans prendre le temps de connaître Selim, ce protagoniste que nous suivrons jusqu’en Bosnie, autrement que sous le prisme de son conflit personnel : le rejet de sa famille musulmane alors qu’il révèle son homosexualité.
La ville où vit Selim n’est pas n’importe quelle ville française, il s’agit de Marseille, cinégénique et multiculturelle. Cette première partie faite de heurts familiaux, de lutte contre la tradition fonctionne comme un prologue. Car très vite, Selim, casque bleu, doit partir au combat sans avoir pu régler ses différents quand bien même le risque plane qu’il ne revienne jamais… La transition est radicale et pourtant symboliquement forte. De Marseille à la Bosnie-Herzégovine, territoire de mixité culturelle et religieuse à feu et à sang, le parallèle est loin d’être anecdotique.
Là, Selim sera détrôné de sa place de personnage principal pour se fondre dans le groupe : celui des Casques Bleus. Durant toutes les séquences à l’étranger, Philippe Faucon expose le quotidien de l’armée. Très documentées, ces séquences exposent la diversité des personnalités et des origines parmi les soldats, et leurs différentes réactions face à l’absurdité de leur mission. L’enjeu géopolitique fait de l’ombre à la problématique personnelle de Selim. Et même si, ses compagnons de chambrée le démasque, la question de son homosexualité reste en second plan. Et ce, jusqu’à son retour à Marseille, où les tensions liées à l’annonce de ses préférences sexuelles seront retombées, et où la vie, au cours d’une séquence de mariage mixte, reprendra son cours, loin des bombardements de Bosnie.
Curieusement scindé en deux parties, chacune traitée sous des angles différents (le point de vue de Selim abandonné au profit d’un regard plus distant sur l’armée), Les Étrangers, parce qu’il n’explicite pas ses rapprochement, déstabilise. Mais n’est-ce pas là l’espérance sincère du public d’aujourd’hui que de pouvoir être à nouveau déstabilisé à la télévision ?