Si le personnage qui donne son titre à la nouvelle réalisation de Philippe Faucon est un travailleur africain immigré en France, Amin se distingue de nombreux films portant sur le même sujet par un refus de la surdramatisation. Il ne s’agit pas ici d’infliger au spectateur une pesante leçon de morale et d’apaiser ainsi le vague sentiment de culpabilité que l’Europe ressent parfois à l’égard de l’Afrique. À l’inverse, le réalisateur s’attache avant tout à dépeindre la situation douloureuse et insoluble de ses personnages en mettant l’accent sur une question moins traitée que celles du travail ou du racisme : celle des relations familiales et sentimentales.
Nous faisons d’abord la connaissance d’Amin (Moustapha Mbengue) alors qu’il retourne au Sénégal pour voir sa famille et apporter une contribution financière à la vie de son village. À travers cette visite, c’est donc d’abord l’expérience de sa femme Aïcha que nous découvrons – sa volonté de rejoindre son mari en France souligne la difficulté de sa situation de parent isolé. De retour dans le foyer de travailleurs où loge Amin, c’est la façon dont les hommes vivent leur solitude qui est exposée. L’un joue de la flûte, l’autre fréquente des prostituées, Amin semble simplement prendre son mal en patience. Puis vient la rencontre avec Gabrielle (Emmanuelle Devos), une femme récemment séparée de son compagnon chez qui Amin réalise des travaux. À son initiative, une relation va se nouer entre eux.
Gabrielle semble vouloir donner un peu de réconfort à Amin en même temps qu’à elle-même, mais le film pointe l’impossibilité pour leur histoire de rester simple, ce qui la rend en quelque sorte métonymique de la situation plus globale d’Amin. Bien vite, il s’avère que l’idylle n’est pas sans conséquences : au Sénégal, la famille d’Amin est moquée par ceux qui le soupçonnent d’avoir une relation extra-conjugale ; en France, un courrier anonyme est glissé dans la boîte aux lettres de Gabrielle – si la couleur de peau de l’autre semble indifférente aux deux amants, le reste du monde y accorde beaucoup plus d’importance.
En marge de la ligne principale du récit, Abdelaziz, ami d’Amin proche de la retraite, apparaît par sa solitude comme un présage que de telles échappées ne peuvent être que temporaires. C’est également à travers lui que le film se fait plus explicitement politique : à travers le personnage de sa fille, qui tente de défendre ses droits, Abdelaziz apparaît clairement comme un homme abusé par des employeurs qui profitent de sa vulnérabilité. La façon assez directe dont progresse le récit tout au long du film, dont chaque scène se présente comme la manifestation d’un processus implacable, donne le sentiment qu’il débouchera forcément sur un drame. Or, si drame il y a, celui-ci est plutôt périphérique et comme amorti par son traitement. Le réalisateur refuse d’en faire sa conclusion, car ce qu’il pointe est d’abord le caractère insoluble de la situation des travailleurs immigrés. Ce refus de toute explosion est à double tranchant : il donne lieu à une émotion rare par son caractère sourd et profond, mais en préférant susciter la tristesse que la colère, Philippe Faucon rend également son film un peu inoffensif.