Pour son avant-dernier film, on ne peut pas dire que King Vidor ait choisi la facilité en adaptant le pavé écrit par Léon Tolstoï. Projet ambitieux, production très coûteuse, Guerre et Paix devait en 1956 à la fois répondre aux codes de narration hollywoodiens tout en ne trahissant pas l’esprit original d’une œuvre majeure de la littérature mondiale de plusieurs milliers de pages. Condensée, cette version se nourrit essentiellement de la trame romanesque qui parcourt l’ouvrage, celle qui confronte le personnage de Natacha à ses sentiments troublés sur fond de guerre entre la Russie et la France napoléonienne. Pris dans l’engrenage du conflit, les hommes qui gravitent autour de la jeune héroïne sont continuellement tiraillés par cette obsession de l’honneur, trop compatible avec celle du sacrifice. Et on sent bien que c’est de ce côté-là que King Vidor est allé puiser son inspiration, lui qui a souvent mis en scène le corps à l’épreuve de la fatalité (historique ou sociale).
Tu seras un homme mon fils
S’il n’est jamais innocent de la part d’Hollywood de représenter en plein maccarthysme une Russie du 19e siècle fastueuse et éclairée (par contraste avec une URSS redoutée et caricaturée), la démarche de King Vidor est surtout de montrer en quoi le poids d’un héritage culturel et historique enferme les personnages – et plus particulièrement les hommes – dans l’inéluctabilité de leur destinée. L’obéissance et le sens du devoir sont placés au centre de toutes relations filiales comme un écho oppressant aux décors fastueux et chargés, témoins directs d’une grandeur de classe à préserver. Si la reconstitution souffre parfois de la limite de ses moyens (les décors en carton, les scènes de guerre tournées avec cinquante figurants), l’intérêt du film réside surtout dans cette manière d’épuiser les situations, comme dans cette très belle scène où Pierre accompagne les soldats pour une longue et éprouvante marche à travers la campagne enneigée.
Effort de guerre
Mais malgré ces quelques réussites, on ressent dans l’ensemble l’effort pénible du réalisateur à donner entièrement corps à cette production de 3h20. Loin du souffle épique d’un Autant en emporte le vent, Guerre et Paix ne tire pas vraiment le bénéfice d’un scénario condensé par rapport à l’œuvre originale. Au contraire, on sent que la substance s’est diluée dans une volonté d’offrir aux spectateurs un spectacle dégraissé, en mesure de concurrencer l’influence croissante de la télévision. Le volontarisme et l’application dont les acteurs font preuve ne sont pas toujours convaincants (mis à part Audrey Hepburn, à la fois frêle et déterminée dans sa manière de s’engager dans les scènes), au point de faire paradoxalement de cette superproduction une œuvre plutôt mineure dans la carrière pourtant foisonnante et admirable de King Vidor.