Après une poignée de courts métrages remarqués et La Fille du 14 juillet, dont l’anarchisme cartoonesque offrait un joyeux antidote à la comédie naturaliste, c’est peu dire qu’on attendait beaucoup du second long métrage d’Antonin Peretjatko. Unanimement salué pour le vent de fraîcheur qu’il faisait souffler sur la comédie française – du moins à son échelle auteuriste –, son premier long métrage semblait, pourtant, encore trop imparfait pour combler tous les espoirs. Au terme d’un marathon gaguesque entamé comme un sprint, et malgré la passerelle audacieuse dressée entre Godard et les Pieds Nickelés, cette fuite en avant je‑m’en-foutiste ralliait trop fastidieusement sa ligne d’arrivée. C’est que la machine burlesque, euphorique et débraillée (le comique y faisait feu de tout bois : bruitages, gesticulations, slapstick, jeux de mots, répétitions et catachrèses en pagaille), ne s’embarrassait d’aucun châssis narratif ; entendu qu’un engrenage de gags se suffirait à lui-même. Mais le style, virtuose, butait quand même sur un menu paradoxe : difficile de combiner cette veine railleuse – dont la polissonnerie détraquait fougueusement tout le récit – et un programme romanesque un tant soit peu consistant. Or, ce qui n’était qu’une nuance apportée au triomphe de poche de La Fille du 14 juillet finit clairement, à l’échelle de La Loi de la jungle – plus étoffé, plus ambitieux, et nanti d’un plus grand confort de production –, par poser problème.
Coq à l’âne
On pourrait se contenter de commenter La Loi de la jungle sous l’angle de ses ambitions, hautement louables – lesquelles, malgré nos réserves, suffisent à conférer au film un beau pedigree. Dire, par exemple, qu’en dépit de la hausse significative de son budget (du simple au quadruple), le style Peretjatko ne ploie jamais sous les attentes d’une comédie « tout public » : ni son casting, pourtant enrichi d’acteurs bankable comme Mathieu Amalric (parfait en expat’ désabusé), ni le changement de décor, de la route des vacances à la jungle guyanaise, ne font peser leur poids sur les épaules du film. Dire, aussi, que l’incorporation réussie de Pascal Légitimus en dit long sur la capacité de ce cinéma à ramener, sous le giron de son insouciance, Étaix et le Gendarme de St-Tropez dans le même panier. Parfaitement souverain dans l’art de la surcharge, la confiance du cinéaste en son baroque semble telle qu’il pourrait absorber à peu près tout et n’importe quoi. D’ailleurs, dans le concert en sourdine du jeune cinéma d’auteur français, précautionneux à l’excès, c’est probablement cette étanchéité à l’intimidation qui le place d’emblée au dessus de la mêlée. Et il faut dire que le scénario de ces deux apprentis, exilés en Guyane faute de stages en métropole, donne à Peretjatko tout le loisir d’ajuster la mire de son pistolet à eau : miroir grossissant des absurdités bureaucratiques et sociales, l’ancienne colonie sud-américaine se mue en cliché hilarant de république bananière. Statue de Marianne héliportée qui échoue en pleine jungle, suspicion de racisme tous azimuts, mainmise des métropolitains sur le pouvoir, tout, à commencer par le projet de station de ski indoor intitulé « Guyaneige » ou ce bâtiment officiel construit aux normes européennes et dont les murs se trouent comme du pain d’épices, tout, donne de cette vieille France d’énarques et de lois absurdes l’image d’une pièce montée périmée depuis des siècles. Complètement épanoui dans ses effets de pétards mouillés, plus proche, en esprit, des farces et attrapes que de la Nouvelle Vague (dont l’influence modérée, dans La Fille du 14 juillet, disparaît en grande partie avec l’abandon de la pellicule), on ne fera pas le reproche à Peretjatko du moindre snobisme.
Survival à l’eau de rose
Or, paradoxe : si, à la faveur d’un burlesque tout puissant, Peretjatko brille par son tableau de la Guyane, le récit, lui, pêche un peu par excès de modestie. On sent bien, dans l’exposition du premier tiers, que c’est avec les olibrius, les huissiers de justice kamikazes et la France des combinards que le cinéaste se montre le plus apte à faire s’emballer la machine satirique. Rien, à la surface d’une si belle insolence, ne présageait un quelconque ralentissement. D’ailleurs, aucune des comédies de Terence Hill et Bud Spencer, voire de Benny Hill, pour ne citer que ses références les plus manifestes (notamment dans cette bagarre générale un peu molle, en plein milieu du film), n’a jamais craint la surchauffe. Pourtant, comme s’il convoitait le beurre et l’argent du beurre, non content d’appareiller burlesque anar et budget cinéma à trois millions, La Loi de la jungle, étrangement décidé à changer de cliquet, bifurque de surcroît sur le cour timoré d’une petite romance de canopée. Alors que le décor de la jungle annonçait le décuplement stupéfiant du rythme d’ouverture, l’isolement des deux protagonistes nous fait brutalement passer de la vue d’ensemble – où l’art de Peretjatko, cousin de ces bandes dessinées comiques, sautille d’une saynète à l’autre sans souci du raccord –, au resserrement conjugué du cadre et de l’intrigue. D’abord capable de croquer une jeunesse désabusée en filigrane d’un entretien de stage désopilant, le récit, comme navré de son propre décor, délaisse peu à peu ses ambitions caricaturistes au profit d’un programme bis – vaguement romantique, certes, mais surtout plus très drôle. Si La Fille du 14 juillet finissait par dégénérer en cadavre exquis, on était loin de penser que La Loi de la jungle tomberait dans l’écueil d’un romanesque un peu hors jeu. Le vrai problème, c’est que l’ensemble se complaît trop tôt dans ce rythme maussade ; trop tôt, du moins, pour pallier l’impression que le gros du film surfe sur l’écume de son incipit éclaboussant.
Sur le terrain des intentions, on le répète, rien à redire. Même de cette aventure tiède, parce qu’elle vient remédier, sur le papier, à un comique de désillusion dont on connait déjà les limites – le court métrage Paris Monopole, sur les pas d’une jeune précaire à la recherche d’un appartement, durait dix-huit minutes, mais n’en aurait pas souffert une de plus. On ne doute pas une seconde de la capacité de Peretjatko à trouver la recette miracle ; cet équilibre entre fougue, gag et sentimentalisme vachard qui en fera le nouveau prince de la comédie d’auteur à la française – titre laissé vacant depuis Étaix et Tati. Pour dire tout le bien qu’on pense de lui, il semble le seul, aujourd’hui, à pouvoir faire rire de sujets aussi casse-gueule que le colonialisme et le racisme sans cynisme facile ni candeur militante. Si bien qu’on rêve de le voir peupler de ses olibrius, à titre d’exemple trop maltraité par le jeune cinéma français, un décor aussi controversé et sujet aux clichés que l’est celui des banlieues. Mais pour l’heure, il faudra se contenter du plaisir mitigé d’une entrée en matière ébouriffante, suivie du doux ronron d’un survival poliment excentrique.