Méconnu (ou plutôt oublié) dans la filmographie de William Wyler, Histoire de détective, sorti en 1951 ente L’Héritière et Carrie, est une curiosité dans la carrière de l’auteur de Ben Hur. Réalisateur de studio par excellence à qui on a souvent reproché un certain académisme et sa propension à faire du théâtre filmé, le voici intrigué par le néoréalisme italien au point de vouloir reconstituer « à la manière de » la rugosité d’un petit commissariat de New York. Si le résultat n’a définitivement rien à voir avec Roberto Rossellini, Histoire de détective reste cependant la belle démonstration d’un savoir-faire typiquement hollywoodien.
Au début des années 1950 et à la suite de la loi de 1948 empêchant les grands studios d’être également propriétaires d’un réseau de salles, les films internationaux ont commencé à bénéficier d’une diffusion nettement plus large aux États-Unis. En plus de bouleverser le monopole du cinéma américain sur son propre territoire, cette nouvelle incursion des Européens a également contribué à redéfinir certains codes : l’audace des sujets traités dans les films français et italiens (on y parle d’adultère sans équivoque) renvoient la production hollywoodienne à sa pruderie encadrée par le Code de censure ; les tournages en extérieur qui font légion chez De Sica et Rossellini créent également un appel d’air qui conduira les traditionnels films noirs à multiplier les prises de vue réelles pour rendre plus réalistes les bas-fonds qui servent de théâtre aux habituels règlements de compte. En 1951, William Wyler – qui a régné en maître pendant plus de deux décennies sur Hollywood – a l’intelligence de voir le vent venir et décide de s’emparer d’une histoire qui met en émoi un petit commissariat municipal sans moyens financiers autour de la traque d’un avorteur, sujet hautement tabou – et donc interdit – à l’époque.
Le réalisateur et son équipe n’ont pas lésiné pour que tout fasse « vrai ». Dans ce petit commissariat aux murs dépouillés, chaque détail est pensé pour tenir à bonne distance le luxe et le faste hollywoodien. Dans ce décor trop étroit et bruyant, les agents manquent de place et les petits malfaiteurs sont confrontés à d’autres crimes dont l’ampleur dépasse leur imagination. Mais surtout, l’énergie ne cesse de se disperser au sein d’une désorganisation somme toute humaine, entre protestations décousues et une obsession pour la justice qui n’aura jamais rien de parfait. Seulement, difficile de s’improviser néoréaliste américain en un film et William Wyler ne s’affranchit presque jamais de ses tics de mise en scène : ce petit poste de police ressemble furieusement à une scène de théâtre (avec ses coulisses où on pénètre par intermittences) construite autour de la dualité du détective joué par Kirk Douglas, partagé entre une intimité malmenée et une image publique qu’il voudrait sans faille. L’illusion fait long feu : trahie par une écriture trop millimétrée, la mise en scène révèle assez rapidement un dispositif totalement artificiel. En somme, il ne suffit pas de construire un décor crasseux pour faire oublier que le film a été tourné en studio.
Pourtant, malgré l’imitation un peu grossière à laquelle se livre Wyler et aux difficultés qui furent les siennes pour rendre explicite la question de l’avortement (devenue une improbable histoire de médecin aidant les femmes à abandonner les bébés qu’elles ne veulent pas garder), Histoire de détective trouve sa cohérence et un équilibre que l’on peut mettre au crédit de l’écriture – millimétrée – et de la direction d’acteurs et d’actrices (le gros point fort du cinéaste). En résulte le sentiment d’un long-métrage qui se tient de bout en bout, ne s’essouffle quasiment jamais et respecte scrupuleusement les règles du bon scénario progressiste comme l’industrie de l’époque savait en produire parfois. Évitant le film à thèse, le réalisateur s’affranchit de tout moralisme bien-pensant en trouvant un espace de liberté en marge de ce manichéisme de pensée voulu par les censeurs de l’époque. C’est ce qui fait la modeste mais belle valeur de ce film daté mais volontaire dans sa remise en question d’un certain statisme qui menaçait la production hollywoodienne d’alors. Une belle manière de (tenter de) se réinventer pour un réalisateur qui aura probablement couru toute sa carrière après le grand film qu’il aurait rêvé de faire.