Soigneusement rangé au panthéon des films mythiques de nos grands-parents, Ben-Hur marqua le point culminant de la carrière prolifique de William Wyler : avec ses onze Oscars et ses quatorze millions d’entrées en France, l’œuvre fut l’une des dernières grandes démonstrations de la démesure hollywoodienne de l’âge d’or des Studios. Longuet et académique, le film n’a pourtant pas tout perdu de son éclat d’antan.
S’il ne fallait citer qu’un péplum, la majeure partie du grand public penserait probablement à Ben-Hur, tant le film, sorti en 1959 (début 1960 en France) a marqué les esprits par sa démesure : une longueur inhabituelle (3h35), une reconstitution titanesque (dans les studios de la Cinecittà), un succès rarement dépassé (onze Oscars, un record depuis égalé par Titanic en 1998 et Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi en 2004), etc. Le film a fait également l’objet de nombreux commentaires (notamment sur la lecture homo-érotique entre Ben-Hur et Messala) ou de railleries sur la lourdeur kitsch de la reconstitution propre au genre, au risque d’éclipser dans la mémoire collective d’autres péplums autrement plus intéressants (Terre des Pharaons d’Howard Hawks ou encore Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz). Pour William Wyler, le projet fut le point culminant d’une carrière auréolée de succès (il fut le plus grand habitué des Oscars depuis les années 1930) avant que celle-ci ne s’effrite, éclipsée par les nouveaux codes esthétiques d’Hollywood et la fin de l’ère des studios. Il faut reconnaître qu’en 1959, lorsque le film sort, les «Nouvelles Vagues» se multiplient (en France, évidemment, mais aussi au Japon), ce qui n’aura de cesse d’influencer l’émergence d’un nouveau cinéma américain au cours de la décennie suivante, quitte à ranger certains maîtres du classicisme dans la case «académisme poussiéreux».
C’est en somme ce qui arriva à Wyler : ni le succès public de La Rumeur (1961), ni le petit retour en grâce de L’Obsédé lors du festival de Cannes de 1965 (bénéficiant probablement de la présence d’Olivia De Havilland, l’une des actrices fétiches du réalisateur, à la présidence du jury), n’eurent raison de cette réputation d’auteur daté que les critiques des Cahiers lui collèrent sur le front, oubliant un peu trop rapidement le crédit qu’apporta auparavant Bazin au réalisateur de L’Insoumise (1938), dont il louait notamment les fantastiques et inédites profondeurs de champ. À revoir Ben-Hur cinquante ans après sa sortie, on peut néanmoins comprendre en quoi le film a pu paradoxalement destituer son metteur en scène du trône sur lequel il était confortablement installé. Dans la parfaite lignée d’un Cecil B. DeMille (et ses mythiques Dix Commandements sortis quelques années plus tôt), William Wyler draine avec lui tout une lourde tradition de la reconstitution (ce dont s’affranchira en partie Stanley Kubrick dans Spartacus en 1960) qui fige davantage le film plutôt qu’il ne lui donne vie. La débauche de moyens spectaculaires n’est ici pas synonyme d’ampleur : le vertige est remplacé par une sorte d’anémie généralisée, la faute à un scénario aux ressorts trop psychologisants (l’amour trahi, la vengeance, la culpabilité) qui ne fait même pas l’effort de rendre les enjeux intrinsèques vaguement crédibles.
Malgré tout, on peut comprendre en quoi le film a pu subjuguer les foules lors de sa sortie. Ne reculant devant aucune folie, le réalisateur parvient à dépasser le côté cul-bénit qui rend par exemple La Loi du Seigneur (Palme d’Or à Cannes en 1957) plutôt infréquentable aujourd’hui, pour donner vie (ou mort, c’est selon) à ce décorum asphyxiant. Des nombreuses scènes du film, s’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait probablement l’impressionnante course de chars au cours de laquelle les corps sont malmenés et broyés, réduits à leur plus sordide fonction utilitariste. Rarement la cruauté aura été à ce point frontale dans les films familiaux à grand spectacle de l’époque. Loin d’idéaliser une civilisation qui a vu naître la parole de Jésus Christ, William Wyler restitue parfaitement l’âpreté et l’obscurantisme d’un peuple qui condamnait les lépreux à l’exil. En marge de cette peinture d’Épinal suffisamment consensuelle pour ne contrarier aucun responsable religieux de l’époque, le réalisateur tient finalement son film grâce à cette réflexion qu’il amorce sur la question de l’identité et celle de la dignité. Cela n’empêche pas Ben-Hur de rester une œuvre très datée, mais cela suffit au moins à ce que l’on y rejette un œil.