Comme son titre le blasonne, Holiday représente un exercice récréatif pour son réalisateur, qui renoue ainsi avec une verve comique d’une férocité jamais totalement démentie, même dans ses plus noirs projets. Exercice réussi, même si en se donnant la récréation pour horizon, Guillaume Nicloux fixe lui-même les limites de sa dérision.
Le bonhomme a du talent, n’en déplaise à ses détracteurs (on va gentiment reléguer aux oubliettes Le Concile de pierre, incident de parcours). Et ce talent ne vaut pas que par sa rare capacité à barbouiller de noir l’atmosphère d’intrigues enfiévrées ; à l’occasion des retrouvailles avec Jean-Pierre Darroussin et Jean-Bernard Pouy, le cinéaste presse la pulpe poulpesque de son écriture pour composer un Cluedo qui égrène sa galerie de personnages hautement grotesques, conjonction de stéréotypes salement dégénérés. L’auteur voulait offrir « un récit en huis clos jouant avec les codes d’un Agatha Christie vaudevillien », et c’est bien ce à quoi le résultat ressemble – ne manque pas même la convocation générale des suspects, avec clients et personnel. Jonglant entre trivialité, décalage, burlesque et absurde, laissant le film dériver sur un faux rythme sciemment paresseux et un Scope assez stylisé, Nicloux décoche des saynètes savoureuses, d’une méchanceté réjouissante. Soit les déboires de Michel Trémois, flanqué d’une épouse évaporée (Godrèche, née pour ces rôles) et d’une belle-mère exaltée (Balasko), au milieu d’une improbable et vulgaire humanité, échouée dans un relais-château où elle a autant à faire que les Bidochons à Versailles. L’humanité, d’ailleurs, ne sort pas grandie de cet asile surréaliste, dont chaque âme paraît encore plus tarée que sa voisine. Le talent du metteur en scène est, à ce point, de ne pas jouer le contre-emploi (une fois n’est pas coutume), et de laisser les acteurs s’épanouir dans leur registre de prédilection.
Une nuit nébuleuse de médiocre débauche accouche d’un cadavre, imputé au malheureux Trémois ; des flics engendrés par le croisement de Deschiens avec le tandem Derrick-Harry Klein pointent leur museau, le flair bien émoussé. Chemin faisant, Nicloux profite de sa parodie de canevas « agathachristien » pour avilir les codes, et refaire avec ses co-auteurs la preuve de son sens du dialogue, brassant tics de langage, phrases toutes faites, polysémie et cruelle dérision. Et si un pot de fleurs en plein milieu du cadre entrave incidemment la conversation, les personnages eux n’entravent pas grand-chose. Échange entre Darroussin et l’inspecteur neuneu (enfin, pas tant que ça…) qui l’a hâtivement giflé au cours d’un interrogatoire : « Désolé pour les claques, hein !», lance ce dernier. « Non non, c’est moi » jette à la volée le sieur Trémois, magistral paumé. « Du mécanique plaqué sur du vivant », état primitif.
Quand vient le moment de repenser le film, c’est d’abord ce que laissent percer son humour ou la multiplicité de ses « signes » qui revient, assez frappant pour former un propos consterné sur le genre humain, même si la sociologie de cette colonie d’impayables cintrés sert avant tout la mécanique huilée d’un rire grinçant, lui. Sexe (beaucoup), violence (un peu), clichés, dysfonctionnements, lapsus et répétitions, dents pourries, vomi… Tout est matière à constater l’incongruité (l’hostilité ?) radicale et inquiétante des choses comme des êtres, le ridicule dont on ne réchappe pas. L’ensemble forme une folie comique, dans laquelle se débat une humanité théâtralisée, clownesque, constituée artificiellement par l’amalgame de toutes ces excentricités, médiocrités, pulsions, obsessions, ruts, impuissances, manies, lubies, perversions, névroses, dépressions, neurasthénies – une vraie confiserie pour psys. Risiblement malsain, Holiday distille une noirceur qui ne va toutefois pas jusqu’au pessimisme (l’échantillon n’est pas représentatif, espérons-le, et le film n’a pas cette ampleur). On n’est assurément pas chez Molière, ni chez Chabrol, mais les symptômes sont parfois similaires.
Au fond, la faune exhibée ici est-elle différente de celle qui peuple la trilogie noire improvisée par Nicloux, toujours crasse ? Cette fois ce dernier a choisi d’en rire crûment, jouant sur les références avec une certaine maîtrise des registres, et autant de distance que la musique qui imbibe la pellicule. Les risques de fragmentation du récit inhérents à l’entreprise sont gommés par une structure très (trop ?) lisible, lâche, reposante (là encore une fois n’est pas coutume), le réalisateur se permettant même de la commenter via ses personnages (« Bon ben maintenant on a vu tout le monde », dixit Trémois), comme quoi le « méta-» peut ne pas être un cache-misère.
Et cependant le film reste très traditionnel, bien plus sage que sa ribambelle de masques, et assez oubliable, faute d’une autre ambition visuelle ou narrative. Quel que soit son degré de malignité, et paradoxalement, alors qu’il leur ressemble comme la soude à la crème hydratante, on finit par se demander fugitivement si Holiday a beaucoup plus de résonance que ces machins bien-pensants sur les petites choses de la vie qui échouent avec une régularité désespérante en salles, et que Nicloux doit certainement conchier, au-delà du simple fait qu’il propose l’exact inverse. Évidemment la réponse est oui, mille fois oui. Mais ce bref instant de recul trahit aussi les limites qui encapsulent dès le départ la satire d’un esprit caustique dans un… bref instant de détente – esprit qui va se tourner incessamment vers son adaptation de La Religieuse de Diderot, finie la récré. Toujours est-il que Holiday, jusqu’à la fin, on en rit en montrant nos caries. Son réalisateur ne voulait sans doute pas autre chose – et pourquoi, après tout, devrait-il vouloir autre chose ?