Au début de La Tour, une étrange masse noire surgit autour d’un immeuble, avalant tout ce qui entre en contact avec elle. Les habitants, coupés du monde, doivent alors s’organiser en attendant la fin du phénomène. Cette introduction contient quelques effets spectaculaires, comme le bourdonnement terrifiant et oppressant qui accompagne l’irruption de l’obscurité. L’argument fantastique n’est cependant qu’un prétexte pour Guillaume Nicloux, tant l’horreur se loge ici avant tout dans les comportements des prisonniers de la tour. Le postulat selon lequel le pire se nicherait dans la nature humaine a indéniablement nourri par le passé de grands films d’horreur. Dans sa célèbre saga des morts-vivants, George A. Romero profitait par exemple de la menace des zombies pour exhiber son pessimisme quant à la capacité des humains à s’entraider pour s’en sortir. Mais le rapprochement s’arrête là : contrairement à Romero, Nicloux ne laisse aucune chance à ses personnages, dont les actions de plus en plus noires dépassent le seul impératif de survie.
L’important, c’est pas la chute…
Rythmé par de grandes ellipses, le film prend la forme d’une succession d’états des lieux (au bout de quelques mois, après plusieurs années, et ainsi de suite). Rapidement, cette société enclavée se recompose selon deux grandes dynamiques jamais remises en cause : la répartition des habitants en groupes ethniques et le rapport de force qui en découle. L’idée de regroupements communautaires au sein d’une tour HLM de banlieue parisienne est par ailleurs envisagée sous un angle des plus simplistes, en l’occurrence la couleur de peau. La situation, qui ne semble jamais surprendre aucun des personnages, est ainsi résumée par l’un d’entre eux : « les Blancs avec les Blancs, les Noirs avec les Noirs », etc. Cette tendance au schématisme ne se limite pas au scénario (très premier degré), mais se retrouve également dans la manière de mettre en scène les affrontements interethniques. Une séquence est symptomatique : tandis que des enfants d’origine maghrébine défoncent la porte d’un appartement pour kidnapper un petit chien, le vieil homme qui refusait de leur ouvrir tombe à terre. Les jeunes cambrioleurs se contentent alors simplement d’enjamber le corps en train de convulser (sur lequel la caméra s’attarde) en ordonnant à sa femme de « fermer sa gueule ». Le contre-coup est immédiat et le groupe des « Blancs » organise, en retour, une ratonnade. C’est avec la même froideur que Nicloux filme l’exécution de personnes élues au hasard (non pas les enfants en question, mais d’autres « Arabes »), en prenant soin de longuement s’attarder sur le regard terrifié de leurs proches. Se succèdent ainsi, tout au long du film, d’effroyables séquences construite selon un principe de causalité, si bien qu’il n’est pas interdit de considérer que chaque groupe mérite, en somme, ce qui lui arrive.
… c’est l’atterrissage.
De ce processus d’autodestruction collective, Nicloux tire une dynamique de surenchère sentencieuse. On discerne même une délectation manifeste lorsqu’il s’agit de faire payer à certains protagonistes leurs différentes fautes, à l’image de ce cannibale réduit à se nourrir de cafards vivants. La punition des quelques « innocents » que compte le film s’avère d’ailleurs encore plus outrancière. Assitan, la jeune femme au centre du récit, se retrouve soumise à un odieux traumatisme à la suite de la mort de son petit frère, involontairement empalé par un voisin. Tandis que la jeune femme se défait peu à peu des engrenages communautaires et sauve un bébé blanc découvert en train de hurler devant ses parents agonisants (une scène de plus filmée avec une incompréhensible gourmandise), une fausse libération s’amorce. Car il est désormais trop tard pour sauver qui que ce soit : lorsque l’enfant lui demande, à l’approche de la fin des temps, ce que cela fait de mourir, elle se contente de lui répondre d’un ton glacial que « ça ne fait rien ». Assitan a, comme tous les autres, perdu son humanité. Dès lors, la noirceur du regard de Guillaume Nicloux ne produit pas grand-chose de plus qu’une triste démonstration sur un multiculturalisme voué, selon lui, à l’échec. Malgré sa fureur apparente, sa misanthropie ne vise au fond qu’à aligner sagement un ensemble de certitudes – et pas des plus glorieuses.