Guillaume Nicloux choisit d’adapter La Religieuse de Diderot, qui relate les malheurs infligés à Suzanne Simonin, jeune fille enrôlée de force dans les ordres. Après Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont la semaine dernière (présenté lui aussi au festival de Berlin), Nicloux s’attache à un personnage privé de sa liberté d’agir, mais avec une application besogneuse et académique.
Il existe un précédent célèbre en France, puisque ce roman fut déjà adapté par Jacques Rivette en 1967, et que le film fut à l’époque censuré par Yvon Bourges (secrétaire d’État à l’Information), interdit de projection pour cause de potentiel trouble à l’ordre public. Il sera donc curieux de voir si le film de Guillaume Nicloux provoque quelques remous dans l’opinion publique, même si pour l’instant aucun signe avant-coureur ne se profile à l’horizon.
Et l’on peine à croire, très honnêtement, à une nouvelle polémique. Non seulement les contours de la société française ont bien changé (quoique la virulence du débat autour du mariage pour tous amène à nuancer ce propos), mais il est vrai que les attaques anticléricales ne font plus les choux gras des journaux depuis longtemps. C’est donc de manière un brin anachronique que ce film vient porter sa petite charge contre le conservatisme chrétien, même si l’on aurait du mal à prendre le cas de Suzanne Simonin pour en faire une figure de proue de la lutte face aux extrémismes cléricaux, tant son histoire se déroule dans un contexte bien défini. De plus, Nicloux érige son personnage en martyr d’un système clérical autoritaire, redoublant son adaptation du roman par une lecture servile et religieuse de la figure de Suzanne. Sur le même type de sujet, et en plus problématique, il faudrait donc plutôt revoir Hadewijch de Bruno Dumont.
En outre, Guillaume Nicloux a la mauvaise idée de mener ce récit – pourtant écrit à l’origine comme une fausse confession – en déplaçant le point de vue, à travers une mise en abyme qui voit le marquis de Croismare découvrir le manuscrit de la religieuse, et le lire en même temps que son histoire nous est narrée. Suzanne Simonin est donc donnée, dans cette introduction, comme saine et sauve, ce qui vide le film d’une incertitude et une inquiétude qui faisaient par ailleurs la force du roman. Ce prologue sert en plus, comme bien souvent, d’effet d’annonce de la fin du film, comme si le cinéaste, apeuré par le potentiel contestataire de son matériau de base, avait voulu s’en prévenir.
L’endoctrinement par le chantage émotionnel, la stigmatisation et les humiliations subies par Suzanne sont d’ailleurs filmés avec une austérité et une sécheresse académiques et plates, qui viennent faire redondance avec la rugosité du mode de vie monacal. La mise en scène se trouve sagement assujettie au récit, empêtrée dans les aléas d’une reconstitution méticuleuse, et ne dévie pas d’un iota durant tout le film. Et ce n’est pas le personnage grand-guignolesque d’Isabelle Huppert, mère supérieure emportée par sa passion pour les jeunes filles, qui viendra sortir le film de sa torpeur mécanique, tant Nicloux la filme avec une application et un respect assez barbants.
Et pourtant, on sent qu’il ne manque pas grand-chose pour que Guillaume Nicloux se sorte de cet exercice scolaire et fastidieux. Pour preuve, cette belle idée qui court tout le long du film, et qui symbolise la construction de la volonté propre du personnage dans l’adversité, est de faire de Suzanne, lors des séances de chant au monastère, une voix qui recouvre les autres, et qui va peu à peu prendre son indépendance. Dommage que celle de Guillaume Nicloux ne fasse pas vraiment de même.