Si la tournure inquiétante qu’avait prise le cinéma de Fatih Akin depuis Soul Kitchen ne laissait pas espérer un rebond miraculeux, la présence en tête d’affiche de Diane Kruger dans un premier grand rôle allemand pouvait à la rigueur susciter une relative curiosité quant à ce neuvième long-métrage. Mais même ce dernier point ne saurait faire ici office de maigre consolation : manichéen, complaisant et totalement inoffensif, In the Fade souffre d’une écriture médiocre, d’une absence de point de vue et s’embourbe irrémédiablement dans une vulgarité infinie qui confine à la bêtise pure.
D’après une histoire vraie
Pour écrire son scénario, Fatih Akin s’est inspiré d’un fait divers récent qui défraya la chronique en Allemagne. Entre 2000 et 2007, un groupe de néonazis assassina huit hommes d’origine turque, un autre d’origine grecque ainsi qu’une policière, sans compter des blessés graves. Beate Zschäpe, l’un des membres du trio, se rendit à la police en 2011, après le suicide de ses complices. Il faut reconnaître que cette affaire constituait a priori une matière première de choix pour un thriller politique efficace : entre les lignes d’un récit haletant, il s’agirait alors de peindre une Allemagne à deux vitesses, qui verrait ses idéaux progressistes mis à mal par un retour soudain des spectres du national-socialisme. Il fallait ensuite réfléchir à la perspective la plus adéquate : film de traque ou film de procès ? Dans le premier cas, Akin aurait dû en premier lieu soigner le découpage de l’action, là où dans le second, travailler les dialogues, la parole de l’accusation comme de la justification aurait été primordial. Le réalisateur ne choisit pas et finit par amalgamer toutes ces pistes dans un parcours qui, se voulant romanesque et tendu, reste désespérément balisé et prévisible.
Soit Katja (Diane Kruger), une trentenaire hambourgeoise mariée à Nuri, membre de la communauté kurde locale, passé par la prison pour une affaire de trafic de drogue. Un soir, lorsqu’elle rentre du hammam, elle découvre à la place des locaux qu’occupait Nuri les traces d’une explosion : son mari et son fils ont été les cibles d’un attentat. Très vite, Katja s’attache à une conviction et exclut toute autre possibilité : les coupables ne peuvent être que des néonazis. En soi, cet aspect borné du personnage aurait pu être intéressant à explorer, mais Fatih Akin n’en fait qu’une astuce lui permettant d’accélérer l’intrigue. De fait, il ne s’embarrasse pas des complexités de la psychologie humaine et fonce comme un bourrin vers le « gros morceau » du film : le bloc autonome que constitue la séquence du procès et qui va rendre possible la dernière partie, celle-là consacrée à la vengeance de Katja.
Une agitation stérile
Le problème est que Fatih Akin n’assume jamais cette lourdeur de bulldozer imposée par la forme obtuse du film à thèse : à force de vouloir courir deux lièvres à la fois – d’une part la dénonciation d’un fascisme latent à l’échelle collective et d’autre part, le portrait d’une femme écartelée entre ses différents rôles sociaux –, le réalisateur accouche d’un film plat et paresseux qui cherche à tout embrasser : un bric-à-brac de tics auteuristes, de mouvements de caméra grandiloquents et de scènes voulues métaphoriques. De l’image très granuleuse et un peu sale de la première partie, rincée par une pluie omniprésente, à la photographie exagérément solaire du dernier mouvement – en passant par les ralentis improbables et les vues en plongée du segment central –, In the Fade s’agite en vain dans tous les sens, croyant ainsi donner chair à l’indignation du personnage. Mais plus fondamentalement, l’échec complet du film tient au surlignage constant de ses intentions, allié à un chantage à l’émotion d’une obscénité inouïe. À ce ce propos, une scène particulièrement grotesque, située vers la moitié du film, suffit à discréditer le projet dans son ensemble : dans la salle de bains de Katja, la caméra part d’une étoffe jetée au sol, se dirige progressivement vers la baignoire et plonge littéralement dans l’eau du bain, laquelle prend rapidement une teinte rouge sang. Plan sur le corps inanimé de Diane Kruger : dans un geste de désespoir, Katja s’est tranché les veines.
Incapable de cerner les enjeux de son sujet, Fatih Akin s’accroche à ses ruses mesquines pour emporter l’adhésion du spectateur. Fort heureusement, l’inanité de sa mise en scène ne fait jamais illusion, rendant à chaque fois évidente sa propre impuissance à remuer les sentiments. Pour mesurer toute la richesse plastique et narrative avec laquelle on pouvait traiter l’affaire Zschäpe, il faudra donc contempler les photographies prises en 2013 par l’artiste allemande Regina Schmecken – une série de vues en noir et blanc des lieux où furent assassinées les victimes du groupuscule néonazi, clichés d’une sobriété remarquable : l’apparente froideur du point de vue permettait alors d’autant mieux à la rage politique de se déployer que celle-ci était mise en retrait des images. Tout le contraire du pitoyable In the Fade.