On ne sait pas trop ce qui a incité Alberto Barbera, le directeur artistique de la Mostra, à sélectionner et surtout à placer en Compétition The Cut, le nouveau film de Fatih Akin. Peut-être est-ce par fidélité à un auteur récompensé auparavant au Lido (Soul Kitchen en 2009) ? Ou bien encore à cause de la gravité du sujet – le génocide arménien ? En tous cas ce n’est pas probablement pas pour son originalité. Akin avait pourtant vu les choses en grand : Kazan, Malick, Leone, Scorsese seraient ses influences, son film une fresque s’étalant sur dix ans et trois continents. Eh bien c’est raté. Et sérieusement. Pendant plus de deux heures, Nazaret (Tahar Rahim, d’abord un peu embarrassant en jeune forgeron baragouinant un anglais hésitant, puis insipide en muet plein d’abnégation) survit d’abord à l’horreur de la Première Guerre mondiale avant de partir à la recherche de ses deux filles dont il a été séparé suite à son enrôlement de force par l’armée turque. Le film repose sur une superposition de tranches narratives qui favorisent la synthèse des événements tout en visant très certainement à restituer le sentiment de lassitude du héros, dont l’odyssée semble sans fin. Mais c’est aussi le défaut principal de The Cut : chaque segment est un bloc replié sur lui-même auquel Akin greffe un brin laborieusement une relance, pour prolonger l’avancée du récit. En découle le sentiment d’être face à un pudding scénaristique au rythme saccadé qui tente péniblement de réanimer la machine narrative, essoufflée à la conclusion de ses différentes étapes.
Cette incapacité à pouvoir insuffler l’ambitieux projet d’un souffle épique n’est toutefois pas de la seule responsabilité de la narration : la mise en scène n’est pas en reste, et si le choix d’un sujet-mastodonte peut expliquer, à défaut de justifier, l’adoption d’un académisme lénifiant, rien n’excuse la laideur de l’ensemble, partagé entre petites horreurs plus drôles que navrantes (le début du film, situé dans un décor ressemblant davantage à Disneyland qu’à la Mésopotamie) et légères pointes d’abjection. Ainsi lorsque Nazaret prend dans ses bras sa belle-sœur agonisante, au milieu d’un camp de réfugiés assez lourdement reconstitué (on sent vraiment à l’écran un désir de faire sale), le chef opérateur s’amuse à composer un joli coucher de soleil bleuâtre, teinté de rose. Plus grave, le film alterne dans sa première partie l’anglais, le turc et l’arabe selon une logique pour le moins contestable : les Arméniens dialoguent en anglais, les Turcs vocifèrent dans leur propre langue, et le sauveur de Nazaret, sorte de Schindler avant l’heure, est le seul non-anglophone des personnages à ne pas apparaître comme un vil individu. Et lorsque quelques années plus tard, le héros se retrouve à Cuba face à un compatriote qui a refusé d’épouser sa fille à cause de sa jambe boiteuse, que fait-il ? Il cède à la pulsion de la vengeance, sort de son calme impérieux et tabasse puis détrousse le gaillard. Tout cela ne sent pas très bon, fermons donc les yeux et bouchons-nous le nez.