Malgré ce qu’affirme un des personnages au cœur du film, cette deuxième mouture de Jurassic World – après celle, sortie en 2015, qui ambitionnait de relancer la franchise – n’entre pas vraiment dans un territoire inconnu. Au contraire, elle tend à essorer jusqu’à plus soif tous les ressorts et les ficelles narratives que la série traine de long-métrage en long-métrage du parc d’attraction débordé par sa propre démesure à la création ex-nihilo d’un dinosaure toujours plus surpuissant dont la menace finit par surplomber tout le reste. En cela cette version « Fallen Kingdom » est un mauvais film : la question est réglée immédiatement tant son criant manque d’originalité scénaristique et son lissage commercial (du casting melting-pot stéréotypé jusqu’aux visages des acteurs peu expressifs) se doublent d’une phobie du temps mort à travers une surenchère d’actions te de rebondissements qui ne débouchent que sur un accablement physique du spectateur, souvent vain et ici particulièrement contre-productif.
Guerre des registres
Précisons : il serait en fait erroné de réduire ce nouveau film à son seul hyper-régime. Il est plus le lieu d’un conflit de registres (grand spectacle décérébré contre restes d’une sensibilité de cinéaste) dont l’issue biaisée d’emblée, ne peut conduire qu’au triomphe du premier sur le second. Car ce qui rendait Fallen Kingdom plus attractif en apparence – la présence à la réalisation de Juan Antonio Bayona, auteur jamais encore vraiment concluant mais héritier assumé de Steven Spielberg et Guillermo del Toro – est, en fait, ce qui le rend plus désagréable encore. Utilisée comme une simple caution, la patte de Bayona est volontairement cantonnée à deux ou trois séquences très précises, presque contractuelles et aussitôt englouties dans le roller-coaster général. À ce point limité, le cinéaste espagnol se retrouve obligé de jouer la carte nostalgique et tributaire à l’œuvre originale comme ultime tentative d’authenticité rassurante. Les citations du film de 1993 pleuvent : l’apparition du premier dinosaure est reprise presque plan par plan, d’abord par le son puis par un travelling qui remonte le long cou du diplodocus – on est alors frappé par la sècheresse émotive de cette copie, devenue parfaitement générique, puis viennent le tyrannosaure et la chèvre (en lieu et place de la vache), la partie de cache-cache dans le musée avec un raptor etc. Paradoxalement, le recours à la signature formate davantage l’objet final, façonnant une sorte de film-doudou hypertrophié pour fans de la première heure et ainsi d’un côté, rappelle presque fièrement la nature purement marquetée de l’entreprise quand de l’autre, pourfend les excès du capitalisme effréné avec un sourire hypocrite. Paradoxalement encore, la crétinerie générale mais assumée de la première bouture, il y a trois ans – on assistait ahuri à une course entre vélociraptors et motociraptors, imaginés pour l’occasion – trouvait dans la bêtise une irrévérence plus plaisante.
Dans tout ce cynisme, rendons à Juan Antonio Bayona ce qui lui appartient, si ce n’est le talent pour avoir su insuffler assez de force aux séquences qui proviennent de son univers, au moins l’habileté de teinter quelques instants ce cinéma-pachyderme d’une joliesse enfantine. En résulte un film qui, s’il résiste au regard critique par ses importants défauts, offre une densité singulière au regard analytique. Le choix de filmer certains plans de dinosaures non pas en images de synthèse mais à l’aide de robots animatroniques et hydrauliques – comme c’était déjà le cas pour créer le monstre de Quelques minutes avant minuit – donne au film un zeste de féerie de fête foraine et de conte. Elle trouve son point d’orgue au cours d’une belle séquence dans la chambre de la petite fille du Docteur Hammond, dans laquelle le dinosaure apparait d’abord en ombre projetée sur le mur (doublant celle d’une figurine de cheval), puis en passant ses longs doigts crochus par la fenêtre. Le grand méchant raptor, nouvelle incarnation du croquemitaine, face à la fillette tétanisée par la peur, cachée sous ses draps : c’est par cette image inédite que Fallen Kingdom rend le mieux hommage à Spielberg.