Là où l’année dernière tout le monde attendait le retour de Steven Spielberg au conte pour enfants avec Le BGG, pour un résultat pas toujours très digeste, un autre réalisateur – pas du tout attendu, lui – surprend avec une fable aussi sombre qu’émouvante, exact contrepoint du Spielberg, sur des thèmes relativement similaires. Pourtant, c’est peu dire que J.A. Bayona n’avait jusqu’à présent guère passionné. Son « œuvre », qu’il soit ouvertement fantastique (L’Orphelinat) ou mélodramatique (The Impossible), débordait de ses excès, déluges d’effets visuels pompeux et de débordements lacrymaux à la limite de l’indécence. À l’inverse, la pleine réussite de Quelques minutes après minuit repose sur un équilibre fragile entre sobriété et baroque, trouvant un espace où peuvent co-exister une forme de retenue dans la narration et une série d’expérimentations visuelles réellement spectaculaires.
Adapté par Patrick Ness de son propre roman, Quelques minutes après minuit (une fois n’est pas coutume, un bien joli titre français) raconte le quotidien de Conor, un pré-ado qui traîne son mal-être dans une banlieue anglaise grisâtre. Sa mère est gravement malade, son père vit aux États-Unis, ses camarades de classe lui tapent dessus et sa grand-mère n’est pas la présence réconfortante qu’il pourrait espérer. La nuit, Conor se réfugie dans ses rêveries et ses croquis. Mais un soir, juste après minuit, le vieil arbre imposant qu’il aperçoit depuis la fenêtre de sa chambre prend vie et vient lui proposer un étrange marché : il reviendra lui raconter trois histoires, puis ce sera au tour de l’enfant de raconter la quatrième. Mais de quelle(s) histoire(s) s’agit-il ? Pour quoi faire ? Et en quoi ces affabulations permettront-elles à Conor de voir le bout du tunnel ?
La beauté des monstres
Ici, point de bestioles malicieuses ni de rose pastel pour égayer le propos : Bayona inscrit son récit fantaisiste dans une chronique sociale et familiale plus proche de Billy Elliot que de Disney, tout en réussissant la plupart du temps à éviter toute forme de misérabilisme. Tour à tour victime et petit bourreau en germe, l’enfant subit, cherche à comprendre et, surtout, à (se) sauver. Le déni, la frustration, l’incompréhension face à l’injustice le poussent à créer de toutes pièces un monstre (Bayona ne fait pas grand mystère de l’existence réelle ou fantasmée de ce dernier) qui, de projection sublimée, devient son guide. Bayona met en scène les face-à-faces entre l’enfant et l’arbre comme autant de dialogues schizophrènes entre un psychotique et son subconscient : la peur, la colère, l’isolement absorbent tout et se nourrissent jusqu’à la folie. Le réalisateur trouve le ton juste, respectant les codes du conte, restant à la hauteur du jeune public, sans jamais tomber dans la niaiserie abrutissante ni le thriller gothico-psychanalytique.
Cette ambition narrative trouve son expression dans une déferlante de trouvailles visuelles. Au milieu de décors ouvertement réalistes, l’irruption de l’inquiétant monstre de bois compense une légère sensation de déjà-vu par un fascinant travail sur le son – grincements, craquements, bruissements… et la voix de Liam Neeson. La dimension mi-féerique, mi-cauchemardesque de la créature fait basculer le film dans une autre forme de récit, où l’inattendu peut surgir à tout moment, où l’inquiétude le dispute à la douceur – à l’image des histoires racontées par l’arbre, illustrées en animation 2D, d’une beauté graphique saisissante. Surtout, au-delà de tout le soin apporté à la forme, Bayona réussit un film beaucoup moins « packagé » qu’il n’en a l’air, où l’émotion se déploie par petites touches, pour mieux saisir aux tripes dans un final aussi spectaculaire que bouleversant. Ce n’est pas la moindre des surprises de ce beau petit film inattendu et attachant, aussi doux que le repos qui vient après le chagrin.