Tout est sujet. Comme ce fut le cas pour le 11-Septembre, il n’aura fallu que quelques années à la tragédie du tsunami du 26 décembre 2004 pour être déclinée sur grand écran. Fort de son titre autorisant tous les excès narratifs, Juan Antonio Bayona (L’Orphelinat) plonge tête baissée dans un traitement mélodramatique de son sujet. Une impressionnante absence de pudeur, qui trahit la volonté d’utiliser toutes les ressources de la fiction pour introduire l’emphase là où le réel fut déjà terrible. Tout pour l’effet, en somme.
Paradoxalement, The Impossible se place, dès ses premières images, sous le signe du réel : un carton explicatif ouvre le film, nous rappelant la tragédie du tsunami de fin 2004 (entre 180 000 et 230 000 victimes). Peu à peu, les lignes s’effacent, laissant seuls sur l’écran noir deux mots : « histoire vraie ». C’est une nouveauté. Entre l’argument publicitaire et la mise en condition pathétique, le syndrome du « basé sur des faits réels » est devenu bien commun : rarement, cependant, en a‑t-on usé avec une telle franchise. La reconstitution du séisme est donc, comme de juste, particulièrement saisissante : les vagues colossales, les courants monstrueux, les dégâts et les victimes laissés par les eaux sont criants de vérité. Choqué, épouvanté par la véracité des images, le spectateur s’interroge malgré tout : pourquoi le film ? Pourquoi nous faire ainsi subir le calvaire du personnage interprète par Naomi Watts, dont la jambe meurtrie saigne et suinte, le tout complaisamment appuyé par force bruits de craquement de bois (Est-ce un os ? Est-ce une branche ?) ? Qu’on ne se trompe pas : la question n’est pas tant pourquoi que dans quel but – dans quel but cinématographique ? La réponse du réalisateur et de son scénariste Sergio Sánchez est parfaitement premier degré : parce qu’on tient une bonne histoire.
Dans ces conditions, autant y aller franchement. Nous allons donc séparer l’histoire entre deux trames distinctes : d’un côté, le père, à la recherche dans toute la région des membres de sa famille, de l’autre la mère, horriblement blessée, et dont on ne sait, tout le film durant, si et comment elle va s’en sortir (les enfants servant de colifichets, répartis entre les deux). D’un strict point de vue narratif, la césure est très pratique : en concentrant sur le personnage interprété par Naomi Watts toute l’horreur des blessures, des maladies et de l’ombre de la mort, on peut par ailleurs balader tranquillement le père (Ewan McGregor), sain et sauf (mais qui traverse toute la région pieds nus), ce qui nous permet d’ajouter au récit une collection d’édifiants épisodes éphémères. Alors que l’eau descend, les ficelles narratives se révèlent.
Stylistiquement, une fois passés les premiers moments cataclysmiques, dont on a déjà souligné l’ampleur, Juan Antonio Bayona va concentrer son attention sur les visages. On y lit donc la peur, le stress, l’inquiétude, l’amour, la compassion, le renoncement, et occasionnellement, les stigmates de la gangrène. Le réalisateur va se contenter de nous servir des champs/contrechamps sur les faciès des acteurs, dont l’expressivité est fortement mise à contribution, tandis que le réalisateur ne semble pas réellement savoir quoi faire d’autre pour susciter l’émotion que nous la montrer directement. Au diapason, la partition de Fernando Velázquez illustre le tout d’envolées ronflantes, noyant le niveau sonore du film dans les moments les plus pathétiques. Et pendant ce temps, le film déroule avec application les péripéties attendues : pourquoi pas, puisque de par son titre, le film entre dans la catégorie du récit catastrophe miraculeux ? Hélas, cette convention narrative ne peut tout excuser : lorsque la scène des retrouvailles étire jusqu’au déchirement le potentiel de crédulité de son auditoire, la coupe déborde. Rétrospectivement, on perçoit ainsi que tout The Impossible est construit autour de l’idée de susciter l’émotion la plus primaire : superbe indécence, l’évocation du tsunami n’est rien de plus qu’un prétexte.
Après le très raté Au-delà, The Impossible constitue donc une nouvelle faute de goût grave dans le traitement cinématographique du tsunami de 2004. Habité, semble-t-il, par l’idée (erronée) selon laquelle on doit le filmer, l’industrie du film hésite quant au traitement à adopter. Au moins Clint Eastwood s’était-il posé comme base d’intégrer la catastrophe à une problématique humaine : il avait son angle de traitement. Frontal et sans gêne, The Impossible n’est quant à lui qu’une version de luxe d’un vulgaire tabloïd.