Doctor Strange in the Multiverse of Madness, peut-être plus qu’aucun autre film Marvel, porte en lui une promesse qui, une fois de plus, n’est pas (complètement) tenue : celle d’un cinéma qui parviendrait à figurer, grâce aux prodigieux moyens mis à sa disposition, du jamais vu. On oublie un peu vite que derrière chaque blockbuster numérique de grande envergure se cache un potentiel film expérimental, encore plus dans le cas présent, puisqu’en principe tout est possible plastiquement (entre projections astrales, illusions et déchirures de l’espace-temps) et narrativement (le principe du « multivers », qui autorise de nombreuses combinaisons). Résultat ? Un honnête divertissement, il faut le reconnaître, qui gomme certains défauts inhérents à la franchise sur le plan du grand spectacle (enfin un antagoniste réussi), sans se départir pour autant de ce qui alourdit systématiquement la machine : profusion de caméos, scènes d’action souvent brouillonnes, interprètes approximatifs (notamment Cumberbatch, acteur limité), cocktail chaotique d’imageries diverses (pêle-mêle ici : satanisme, créatures lovecraftiennes, science-fiction, bouddhisme et utopie écologiste), etc. Cela fait beaucoup, d’autant que la signature de Sam Raimi, de retour au cinéma après un long hiatus, se fait trop timorée, entre quelques scènes vaguement horrifiques et un inévitable coucou de la part de Bruce Campbell.
On regrettera même que le film souffre d’une uniformisation accrue qui touchait déjà le dernier Spider-Man : une seule scène, certes plutôt réussie, tire parti de la fameuse « dimension miroir » où Strange peut pleinement faire étalage de ses pouvoirs magiques, alors même que ces visions kaléidoscopiques constituaient jusqu’ici la signature visuelle principale du personnage. Reste tout de même une poignée de séquences qui permettent d’entrevoir le film qu’aurait pu être ce Doctor Strange sans le pesant cahier des charges imposé par Disney : ici une série de surimpressions montrant l’adversaire principal de Strange (on reste volontairement vague, spoilers obligent) voyager en rêve à travers les univers, là un improbable duel dont les protagonistes se battent à coups de notes de musique, effets sonores à l’appui. C’est peu, sans être toutefois négligeable : comme je l’expliquais déjà en 2017 à propos de Wonder Woman, on va désormais voir les films de super-héros en espérant qu’un petit quelque chose dérègle la machine, qu’une vision se dégage d’un ruban d’images trop monotones. Au moins, celui-ci en comporte quelques-unes.