Pour son dix-huitième film, Ken Loach a choisi de changer radicalement de ton. Loin de cet univers ouvrier qui caractérise habituellement son cinéma, Just a Kiss est avant tout une romance contrariée grâce à laquelle le réalisateur anglais dénonce le racisme et le communautarisme religieux.
Cette histoire d’amour impossible entre une Irlandaise et un Pakistanais n’est d’ailleurs pas sans rappeler le célèbre film de Stephen Frears, My Beautiful Laundrette, où deux hommes tentaient de s’unir, malgré les conventions morales, mais aussi de survivre dans une Angleterre économiquement dévastée par le libéralisme et le conservatisme de Margaret Thatcher. La comparaison peut cependant s’arrêter là car la volonté du réalisateur de mettre en danger le couple de Just a Kiss n’a pour objectif premier que celui de dénoncer l’extrémisme religieux, qu’il soit catholique ou islamique. Issus d’une classe moyenne qui ne souffre ni du chômage, ni de la précarité, Casim (Atta Yaqub) et surtout Roisin (Eva Birthistle) n’ont qu’une seule frustration, celle de ne pouvoir s’aimer au grand jour. Ainsi, commence une longue série de déchirements ponctués de réconciliations (à moins que ce ne soit l’inverse) pendant lesquels la jeune femme ne peut ou ne veut pas comprendre les raisons pour lesquelles son ami n’annonce pas à sa famille musulmane qu’il annule le mariage arrangé par sa mère pour s’unir à une blanche catholique.
Loin, très loin, du gris, de la tristesse et du désenchantement de ses plus grands films comme Family Life, Ladybird ou très récemment Sweet Sixteen, Ken Loach change complètement de registre en filmant au plus près le désir et l’étreinte du jeune couple. Peu habitué à donner à ses œuvres une dimension aussi intimiste, le metteur en scène n’est pas totalement à son aise dans cette bluette sentimentale qui flirte trop souvent avec le sitcom aseptisé. Il faut dire que les deux jeunes acteurs au physique avantageux sont un peu trop lisses et monocordes pour incarner avec conviction ce pamphlet qui aurait pourtant pu être passionnant. Du drame social, on glisse progressivement vers la crise existentielle post-adolescente dans laquelle peu de personnes sont invitées à se reconnaître. Mais les raisons pour lesquelles l’œuvre parvient difficilement à convaincre proviennent également du fait que le réalisateur dresse un portrait assez édifiant de la famille de Casim. D’abord cantonnés à n’être que l’incarnation de l’obscurantisme, les personnages des parents et de la sœur aînée n’évoluent pas au gré des situations, dépourvus de toute épaisseur psychologique. Finalement plus bêtes que dangereux, leur présence n’apporte pas le moindre élément de réflexion tangible sur la difficile intégration des communautés religieuses dans une Écosse profondément attachée à ses valeurs catholiques. Mais en bon juste, Ken Loach refuse que l’on stigmatise l’Islam et démontre que la religion catholique peut être autant sinon davantage source d’intolérance et de rejet. Aussi, s’empresse-t-il de confronter la jeune femme amoureuse à un prêtre fanatique et délirant qui condamne sans appel ses choix de vie.
Chaque scène est prétexte à marquer l’opposition de deux ensembles (Casim contre sa famille, Casim contre Roisin, Roisin contre la sœur de Casim, Roisin contre l’école) sans jamais entretenir la moindre ambiguïté. Sur une heure trente de projection, une seule scène troublante retiendra l’attention (celle où la grande sœur de Casim conduit Roisin devant la maison familiale où cette dernière entraperçoit un monde auquel elle ne pourra jamais appartenir) ce qui nous laisse amèrement imaginer ce que le film aurait pu être si le réalisateur avait su laisser éclore les petites perversités inhérentes à chacun de ses personnages.