Il y a des paris insensés que certains cinéastes aiment relever. Le « film pour enfants », un vrai genre à lui tout seul, en fait partie, et quelques réalisateurs dont ce n’est pas l’univers de prédilection s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur. Récemment, les catastrophiques Jack de Francis Ford Coppola ou Pinocchio de Roberto Benigni montrent à quel point s’adresser au jeune public relève de la haute voltige.
S’il y a bien un metteur en scène dont on n’aurait jamais imaginé des velléités de conteur pour enfants, c’est Cédric Kahn. L’auteur des sulfureux et scandaleux Roberto Succo et L’Ennui, qui avait tant séduit l’an dernier avec Feux rouges, vertigineux polar adapté de Simenon, prend un virage à 180° pour nous raconter l’histoire de Charly, un petit garçon dont le père disparaît tragiquement dans un accident. Pendant que sa mère s’enfonce dans le chagrin, l’enfant découvre que la maquette d’avion que son père lui a offert juste avant de mourir possède des pouvoirs magiques…
Venons-en tout de suite aux faits : hormis deux ou trois scènes dans lesquelles apparaissent des traces de ce que le film aurait pu être (un conte fantastique empreint de poésie), L’Avion est un immense naufrage. C’est d’autant plus étonnant qu’il était difficile d’imaginer un auteur aussi maître de son univers que Cédric Kahn, tomber si facilement dans le piège de la mièvrerie. Tout sonne faux, et en premier lieu les enfants. À leur avantage, ils possèdent une fraîcheur qui les éloigne des petits singes savants (et presque inquiétants) du cinéma américain comme Freddie Highmore ou Dakota Fanning. Mais leur amateurisme alourdit considérablement le rythme du film. Ils ne sont pas aidés par l’insupportable musique de Gabriel Yared, sorte d’exemple parfait de tout ce qu’il ne faut pas faire si l’on veut devenir compositeur pour le cinéma. Omniprésente, agaçante, mielleuse, elle dessert le film et le traîne un peu plus vers la caricature.
L’influence de Spielberg est énorme et forcément maladroite : on ne filme pas une scène avec deux gamins sur un vélo dans la nuit, ou un enfant volant dans le ciel étoilé avec la lune en arrière-plan, sans savoir qu’on se frotte à un mythe éculé. Cédric Kahn ose et échoue tristement : au lieu de la féerie escomptée, on ne voit que poésie de bazar et gros sabots. Kahn sait indéniablement comment composer un plan et où poser sa caméra : à ce titre, le seul passage réellement intéressant du film est une succession de deux scènes dans lesquelles la mère de Charly grimpe sur le toit pour faire redescendre son fils, persuadé de pouvoir voler avec son avion ; une fois dans la maison, elle enferme le jouet dans une pièce close, mais l’avion s’échappe et attaque la jeune femme. Il y a dans ces dix petites minutes tout ce que L’Avion aurait dû être : un montage au cordeau, une atmosphère étouffante, un glissement progressif de la réalité vers un fantastique à la fois enfantin et inquiétant. Le moment où Charly et sa mère se battent pour récupérer l’avion est surprenant de violence. Impeccablement cadrées, éclairées, découpées et jouées, ces deux scènes montrent que Kahn sait toujours être un grand cinéaste mais qu’il s’est ici laissé dépasser par son sujet.
Le comble pour Cédric Kahn, c’est qu’en voulant faire son film le plus accessible, le plus ouvert, il est complètement passé à côté de l’émotion. Chaque dialogue, chaque situation est trafiqué, appuyé et hors sujet. Les références à Saint-Exupéry et son Petit Prince sont légion : mais là où l’écrivain savait parler aux enfants sans condescendance, le réalisateur et ses scénaristes (ils sont quatre au total !) s’empêtrent dans une sensiblerie qui confine à la débilité, particulièrement dans les dialogues des enfants. Les acteurs adultes, eux, font ce qu’ils peuvent et s’en sortent plutôt honorablement : Isabelle Carré est une maman impeccable de sobriété, Vincent Lindon incarne en deux scènes un papa idéal sans pathos et Nicolas Briançon, dans le rôle impossible du méchant scientifique qui connaît les pouvoirs de l’avion et cherche à s’en emparer, réussit l’exploit d’éviter (relativement) la caricature avec le peu qu’on lui donne à jouer.
Finalement, le plus grand perdant n’est pas le public (gageons qu’en cette période estivale, nombreux seront les enfants ‑et leurs parents- peu exigeants qui trouveront des qualités au film) mais bel et bien Cédric Kahn, qu’on espère retrouver en meilleure forme le plus vite possible.