Dans un entretien qu’il nous a accordé peu après l’annonce de sa première sélection, Julien Rejl, délégué général de la Quinzaine des cinéastes, insistait sur la mission de contre-programmation de cette sélection parallèle. En découvrant coup sur coup l’ouverture de l’Officielle et celle de la Quinzaine, on comprend ce qu’il voulait dire. Là où Jeanne du Barry croule sous les oripeaux clinquants, entre plans au drone sur le château de Versailles (que l’office de tourisme de la ville ne renierait pas) et violons grandiloquents, le petit décor quasi unique et l’absence de musique du Procès Goldman semblent ne pas appartenir au même monde. Il existe pourtant un point commun entre Maïwenn et Cédric Kahn : ce sont tous les deux des cinéastes comédiens. Une différence de taille les distingue toutefois : si la première joue dans son film et s’entoure d’un casting prestigieux (dont une star internationale à l’aura récemment ternie, tiens donc, par un procès sordide), le second reste derrière la caméra, et filme des acteurs et actrices moins connus que lui. Une grande partie de la réussite de ce film, relatant le procès en cour d’assises de Pierre Goldman en 1976, tient à eux.
C’est que le genre du procès est souvent affaire de jeu. Une fois la porte du tribunal franchie, il n’y a plus de personnages, seulement des comédiens. La part théâtrale du système judiciaire implique en effet de regarder celui qui parle et d’être à l’affût des failles de son interprétation. En somme, la vérité est dans le jeu. Sur ce point, le choix de confier le rôle de l’avocat Georges Kiejman au réalisateur Arthur Harari se révèle déterminant. S’il semble, par son ton affecté et fébrile, mal à l’aise dans la première scène où il apparaît, il convainc totalement une fois sa robe d’avocat endossée. Ses tics, et sa voix portant moins que le reste du casting, nourrissent cette double dynamique. Il s’affirme alors comme un avocat singulier et un parfait contrepoint à Arieh Worthalter (déjà remarquable en amant fantôme chez Amalric et en libertin marginal dans Douze mille), aussi fantasque qu’imposant dans le rôle de Goldman.
Ces deux hommes incarnent les deux pôles du récit : d’un côté la raison (l’appareil de la justice), représentée par Kiejman, de l’autre la passion (l’idéal politique) qui habite Goldman. Les lignes semblent a priori irréconciliables, comme en atteste le running gag de Kiejman faisant les gros yeux face aux nombreux emportements de Goldman, mais elles finissent par discrètement se croiser au crépuscule du procès. Les derniers mots de l’accusé étonnent par leur caractère pondéré, tandis que la plaidoirie finale de Kiejman contient un segment imprévu témoignant de l’influence qu’a eu finalement son client – Kiejman finit par évoquer sa propre judéité. Difficile, face aux contrechamps sur les visages émus d’anonymes du public, de ne pas penser à Saint Omer. Contrairement à Alice Diop, Cédric Kahn ne dilue pas l’efficacité de la machine judiciaire dans des parenthèses intimes maladroites et des notes d’intention (la plaidoirie finale, autrement plus appuyée). Kahn a pour lui sa narration infaillible et sans écarts au risque de manquer d’un peu d’audace. À l’image de son format 1:33, Le Procès Goldman est avant tout un film carré. Rien ne dépasse : le film tient le cap qu’il s’est fixé. La Quinzaine est donc lancée sous le signe de la rigueur – on attend désormais qu’elle déborde.