On connaît l’attachement de Cédric Kahn aux trajectoires singulières, hors des normes sociales et du confort moderne, comme avec la cavale de Roberto Succo ou les enfants de la Vie sauvage. Ici, le cinéaste s’intéresse au parcours de Thomas (incroyable Anthony Bajon, Ours d’argent à la dernière Berlinale), 22 ans, qui à la suite d’une overdose intègre une communauté religieuse afin de « décrocher ». Ce groupe d’hommes et de femmes de tous âges vit dans une forme d’autarcie, retiré dans un paysage montagneux et sauvage. Leur quotidien est celui d’une vie presque ascétique, rythmée par la pratique du chant, de la prière, du travail en menuiserie et de groupes de discussion. Reposant sur des principes d’entraide et de bienveillance, le centre obéit à une règle stricte : ne jamais laisser un pensionnaire seul, pour mieux surveiller le risque de rechute.
C’est avec une frontalité assumée, parfois déstabilisante, que le cinéaste s’empare de la reconstruction de ce jeune homme. Dès la séquence d’ouverture et par l’utilisation de gros plans isolés qui soulignent son regard perdu et enfantin, Cédric Kahn épingle l’innocence de celui qui traîne derrière lui une existence déjà abîmée par la dépendance. Cette proximité vis-à-vis du personnage pousse naturellement le cinéaste à faire des interactions avec les autres membres de la communauté une intrigue à part entière : arrivera-t-il à composer avec ses partenaires du centre et les règles imposées ? Se donnera-t-il les moyens de se reconstruire ? L’enjeu est d’autant plus délicat que les premiers instants de Thomas dans la communauté sont rudes : malgré la beauté des grands espaces (rusticité à laquelle est souvent attaché le réalisateur), Thomas découvre l’enfer du sevrage, les crises de manque, et les limites d’une vie en communauté où il est difficile de trouver sa place.
L’apprentissage de cette cohabitation induit un plan en perpétuelle tension, qui recherche constamment un équilibre, bousculé par les rapports de force entre le jeune homme et les autres pensionnaires. Cela permet au cinéaste de représenter le sevrage comme une épreuve en communauté, où la dépendance se substitue progressivement à une autre (la religion), et prive les personnages de liberté, comme avec Pierre (Damien Chapelle) qui n’ose pas reprendre sa vie hors du centre par peur de replonger.
Filmer la foi
Cependant, ce n’est pas la question de la rechute qui intéresse le plus le réalisateur. Il s’agit plutôt d’explorer le moment de basculement, de conversion du jeune homme. Comment et à quel moment Thomas s’éveillera-t-il à la foi ? Sera-t-elle le résultat d’un acte libre ou le fruit d’un conditionnement ? La trajectoire classique de Thomas (du rejet des règles à l’assimilation) pourrait laisser penser qu’à travers cet éveil, le cinéaste fustige une forme d’endoctrinement.
Car si la croyance religieuse peut constituer un objet de cinéma (à l’instar du dernier film de Xavier Giannoli), le défi soulevé par cette thématique reste bien celui de la mise en scène. Comment donner à voir ce qui appartient à l’intime ? Si le cinéaste, de manière prévisible, en passe par la suggestion d’un miracle lors d’une séquence périlleuse dans la montagne, il y oppose des moments plus ambigus, où la question de la foi est traversée par le doute et la crainte de l’engagement.
Cela devient éloquent dans la scène la plus troublante du film, lorsque Thomas se retrouve convoqué par la Sœur fondatrice du centre (merveilleusement interprétée par Hanna Schygulla, actrice fétiche de Fassbinder) qui n’hésite pas à le gifler pour l’encourager à un lâcher prise et s’ouvrir véritablement à Dieu. L’intelligence du cinéaste consiste alors à ancrer, parfois grossièrement, la foi de Thomas dans l’expérience intime et une atmosphère mystique qui tient à la magnifique photographie du film et aux espaces filmés. Cela lui permet alors d’affirmer une conviction profonde : celle de rester libre, et de se laisser guider par la spontanéité.