Deuxième adaptation au cinéma de l’histoire de Xavier Fortin (après La Belle Vie de Jean Denizot, sorti un peu plus tôt cette année), Vie sauvage de Cédric Kahn en est aussi la plus littérale et la plus officielle. Là où le film de Jean Denizot s’inspirait de loin en loin de l’étonnante cavale de Fortin et ses enfants, kidnappés à leur mère pour poursuivre un idéal de vie marginalisée telle que leur père l’avait envisagée pour eux, celui de Cédric Kahn suit de très près le fil du parcours, long de plus de dix années, de cet homme et de ses deux fils. L’affaire a passionné les médias, jusqu’à son issue judiciaire : condamné à deux ans de prison lorsque la Police a retrouvé sa trace, Xavier Fortin a immédiatement reçu le soutien de ses enfants devenus adolescents. Coupable et irresponsable aux yeux des uns, père courage aux yeux des autres, Fortin a en tout cas attiré la sympathie immédiate des deux cinéastes qui se sont emparés de son histoire : là où Jean Denizot en fait un anar un brin lunaire, Cédric Kahn le dépeint plutôt en idéaliste pragmatique, soucieux de transmettre à sa progéniture le sens de ses priorités, coûte que coûte.
Kassovitz le magnifique
L’immense atout de Vie sauvage, c’est Mathieu Kassovitz : le film, d’ailleurs, ne se remettra pas de mettre le personnage et son acteur à l’écart dans son dernier tiers. S’il y a belle lurette que l’on a cessé de s’intéresser à sa carrière de réalisateur et si l’on avait complètement perdu de vue ses talents de comédien, Mathieu Kassovitz savait se rappeler à notre souvenir au gré de ses interventions grotesques et pleines d’aigreur contre le cinéma français et son microcosme – apparemment pas encore terminé, puisque des rumeurs de conflit avec Cédric Kahn tiennent l’acteur éloigné de la promotion du film. Mais qu’importe, car dans Vie sauvage, Kassovitz est tout simplement extraordinaire, d’une justesse qui transcende les conventions habituelles et atteint un naturel qui se rapproche de l’improvisation et qui n’est pas sans rappeler les miracles effectuées par les actrices des frères Dardenne (ici crédités comme co-producteurs du film : il n’y a pas de hasard).
Vers les Dardenne
D’ailleurs, comme chez les Dardenne, le film démarre sur les chapeaux de roue, sec et nerveux, dans une course folle : celle de Nora (Céline Sallette, très bien) avec ses trois garçons (l’aîné, Thomas, est le fruit d’une première union), qui décide de fuir la vie précaire qu’elle a construite tant bien que mal avec Paco (Kassovitz). Quand celui-ci comprend qu’il ne reverra ses enfants que de façon épisodique, il décide purement et simplement de les enlever à leur mère, dans le secret espoir que la Justice tranchera en sa faveur. Lorsqu’il doit se rendre à l’évidence que son acte le dessert, il fait le pari d’une vie nomade et cachée avec ses enfants, qu’il éduquera lui-même, envers et contre tout. Passé son épatante introduction, le film embrasse la cause de son personnage en le dépeignant comme un homme instruit, attaché à des valeurs fortes et indiscutables, dont les principes et la rigueur morale sont paradoxalement ce qui l’a mené au kidnapping difficilement excusable de ses propres enfants. Cédric Kahn prend très clairement fait et cause pour Paco : d’abord en choisissant de maintenir la mère hors champ après les quinze premières minutes du film, ensuite en s’attachant à la droiture morale de son personnage et les bénéfices qu’en retirent ses deux fils. Un tel parti-pris ne manquera pas de faire grincer quelques dents, mais les choix délibérément romanesques du cinéaste font suffisamment basculer la véritable affaire dans le registre de la fiction pour que le débat éthique apparaisse comme nul. Ici, la Police et la Justice sont montrées furtivement, plus dépassées par un système et des règles qui leur échappent que réellement organisatrices du chaos kafkaïen à l’origine de la situation de Paco et ses enfants.
Au cœur du film, Cédric Kahn trouve un très bel équilibre entre un vrai souffle romanesque, un lyrisme un brin naïf et une forme d’épure qui empêche le film de sombrer dans le mélo racoleur ou le film à thèse plombant, grâce notamment aux deux jeunes comédiens qui incarnent les deux petits garçons, et leur belle complicité avec Kassovitz. Lorsque dans son dernier tiers, le film se recentre sur les enfants devenus adolescents, délaissant le combat du père, devenu obsolète aux yeux de ses fils, pour évoquer des premiers émois beaucoup plus convenus (le premier amour, le désir de conformisme, la rébellion contre l’autorité paternelle), rien ne va plus. Quant à l’ultime scène, qui scelle les retrouvailles entre la mère et ses enfants dans le chantage et la douleur, elle plonge le film dans tout ce qu’il avait évité jusque là. C’est dommage, mais l’on se souviendra aussi que l’on a souvent connu Cédric Kahn moins inspiré : souhaitons que cette Vie sauvage à demi réussie soit le signe d’un nouvel élan dans sa filmographie.