Le titre du dixième long-métrage de Cédric Kahn, Une vie meilleure, ironise sur la réalité déceptive et cruelle qui vient contrecarrer les plans d’un jeune couple désireux de monter sa propre affaire à l’heure des prêts toxiques et autres joyeusetés bancaires. Une chronique sociale honorable, mais qui peine à marquer les esprits.
À la base du nouveau film de Cédric Kahn, il y a une sorte de rêve. Non pas un genre de fantasme rassurant (qui a dit mièvre ?) comme celui qui faisait voler L’Avion, mais plutôt le projet d’une vie. Celui de Yann (Guillaume Canet), maqué avec Nadia (Leïla Bekhti) et père de substitution du jeune Slimane. Une sorte de pendant français au rêve américain, qui s’incarne dans l’ouverture d’un restaurant de haute gastronomie niché au creux d’une forêt où coule une paisible rivière. Cédric Kahn choisit de suivre ses personnages à partir d’un « nouveau départ » (formule d’ailleurs très utile à la promotion du film) similaire à ceux que l’opinion générale affectionne, même si la situation antérieure des protagonistes n’est que très légèrement évoquée.
À partir de cette rencontre éclair entre Yann et Nadia, le scénario fait vivre aux deux tourtereaux une sorte de cauchemar administratif et financier, hanté par des crédits revolving aux dents longues. Peu à peu, les lieux habités par les personnages et leur superficie ne vont jamais cesser de se dégrader, reflet d’une situation économique et sociale de plus en plus bancale : de la caravane à l’appartement sous les combles, avant la vie sur la route, Yann et Slimane, lâchés par Nadia (sûrement la meilleure idée du scénario, la disparition inexpliquée de la mère), forcés à la cohabitation, font face. Un duo de quasi-étrangers qui n’ont pas grand-chose à se dire : c’est à peu près la teneur des relations entre l’adulte et l’enfant. Alors, certes, Guillaume Canet retrouve avec la direction d’acteur de Kahn un dépouillement certain qui rend ses accès de colère plus convaincants. Mais les scènes de cohabitation et de confrontation ne sont pas suffisamment exploitées, la faute à une concentration scénaristique sur le personnage de Yann au détriment du petit Slimane qui ne vaut que comme accompagnateur ou faire-valoir. Du coup, la caméra de Kahn colle un peu trop le personnage adulte, et ne fait parfois que passer lorsqu’elle suit celui-ci dans ses rapides allers-retours et entrevues (avec le banquier, la conseillère en surendettement, puis le « marchand de sommeil », un truand notoire), limitant les quelques passages plus introspectifs à des regards dans le vague que l’on sent évidemment désespérés.
Dans Roberto Succo, le réalisateur centrait aussi son film sur un personnage, mais l’étrangeté de celui-ci contribuait à l’intérêt dramatique de l’ensemble. Ici, Yann se débat, mais son intériorité se limite finalement à quelques colères, envers Nadia, puis Slimane. L’alternance de séquences de polar et de scènes plus intimistes, autre élément qui faisait la force de Roberto Succo, se retrouve certes à l’occasion d’un sursaut de volonté de Yann, mais le reste du film se perd dans une linéarité assez ennuyeuse. Les frères Dardenne, référence de Kahn pour Une vie meilleure, avaient su dans leurs meilleurs longs-métrages présenter la cruauté et la rudesse des situations de leurs personnages avec une approche physique et dynamique de la survie ou du dépérissement en milieu social (la caméra à l’épaule de Rosetta en tête). En l’absence de cette réalisation nerveuse, tendue, qui aurait pu faire tenir la distance à un scénario univoque, le film ne réussit que partiellement à rendre le mouvement épuisant et ininterrompu de cette descente aux enfers.