Le monde n’est pas vraiment rose… si quelqu’un en doutait encore, il pourra voir cette série de six films très inégaux, tous pavés de bonnes intentions mais, comme on le sait, l’enfer l’est souvent. Entre les démonstrations idéologiques de bas étage et les tentatives (qui tombent à plat) de cinéma conceptuel, on est loin de Michael Moore, mais on se demande tout autant pourquoi, mais POURQUOI ?
Ce que semble nous dire ce film-mosaïque est assez simple : dans la vie, il y a les bons et les méchants, les grands capitalistes et les petits ouvriers/pêcheurs/paysans, les bourreaux et les victimes. Soit. Il est toujours « bon » de se rappeler que l’on est le suspect de quelqu’un. Excepté deux films un peu plus originaux, un brin plus intelligents et sensibles Luminous People d’Apichatpong Weerasethakul et Tarrafal de Pedro Costa, les courts-métrages oscillent entre une vision très manichéenne du monde, ou une représentation très plate du cinéma. Le pire de tout cela est certainement le long plan fixe de vingt minutes de Chantal Ackerman : dans une Shanghai nocturne, la réalisatrice filme des tours sur lesquelles est projetée une suite d’images publicitaires enrubannées de musique classique ou rock… c’est donc cela la société de consommation ! Un symbole économique (la tour), des images détournées de Mona Lisa, des dessins animés de Disney, et tout cela sur du Chopin ou du Queen. Cette horrible société est donc une société de dénaturation des œuvres, de réutilisation commerciale de chefs d’œuvre. Quelques séquences sur la jeunesse dorée de la ville sont censées nous montrer que tout n’est pas aussi simple et que la modernité a aussi ses bons côtés… une philosophie digne des plus grands.
À l’image du film de Chantal Akerman, Germano de Vicente Ferraz aligne les clichés sur la mondialisation et les inégalités. Dans un village de pêcheurs donnant sur la baie de Guanabara, quelques hommes vont pêcher la sardine en haute mer pour augmenter leur production. Mais dans l’idée de survie, il y a également l’idée de bataille : évidemment le petit sardinier se retrouve en face d’un énorme cargo. Les gros bateaux ont tué la baie, et donc les moyens de subsistance. Face à l’immensité, les petits propriétaires désespérés vont frôler la mort, comme filant la métaphore d’un monde en perdition. Les dialogues sont simplistes et prévisibles, la voix off finale lénifiante à base de « comment va-t-on sauver ce beau monde d’amitié et de troc face aux grandes économies capitalistes ?»… on tombe tout de même un peu bas. Plus politiques, le film indien One Way et le chinois Brutality Factory n’en sont pas moins caricaturaux : d’une part, un garde de sécurité raconte ses périples entre l’Inde et le Népal entre lutte des classes et industrialisation ‑Bangalore en est l’exemple le plus frappant, première ville informatique indienne entourée de bidonvilles‑, d’autre part, l’histoire de la torture chinoise revit au travers de fantômes qui s’éveillent la nuit dans une friche industrielle de Chine. Si le second tente d’utiliser une lumière sourde et violente pour retranscrire la maltraitance des corps et des esprits, il ne parvient jamais, tout comme le premier, à retranscrire une sensation de malaise ou de réelle violence, tant cette dernière est enrubannée de chichis et/ou de discours faciles.
Restent deux courts-métrages, de Costa et de Weerasethakul, qui font preuve d’émotion et d’originalité dans le flux continu de puissante néantisante de L’État du monde. Tous deux centrés sur l’humain, ils font preuve d’une poésie ‑parfois très cruelle- que les autres films n’approchent même pas. Luminous People montre ainsi une famille portant les cendres d’un défunt : sur une rivière calme, sorte de Styx, le réalisateur joue sur la fixation du moment en brouillant les sons et les couleurs. La cérémonie funéraire elle-même mêle le traditionnel et le moderne : beaucoup plus curieux et clair que ses comparses, Weerasethakul nous fait accepter par son onirisme de ne pas tout comprendre. L’isolement de la barque renvoie à la solitude des personnages de Pedro Costa : quelques plans fixes suffisent à poser un décor, une expérience humaine et cinématographique. Costa cherche bien plus à écouter ceux qu’il filme qu’à orienter son film, à plaquer un discours sur ses images. C’est sans doute le plus grand défaut de ces films en un seul : une idéologie vaseuse, cadrée dans des scénarii et des plans simplistes, un peu sauvée par la présence de deux films moins ratés, mais n’arrivant tout de même pas à faire oublier un tel flot d’ennui.