Une gamine de l’Amérique profonde avec le rêve américain collé à la peau plonge dans le cauchemar lorsqu’elle se sait possédée par les Forces Démoniaques du Mal. Son prêtre/confesseur/ami/etc. tente le tout pour le tout, mais la malheureuse meurt lors de l’exorcisme. Résultat : un procès lacrymal et saturé de poncifs d’une société qui s’est détournée des Vraies Valeurs.
Emily Rose est une parfaite jeune fille de l’Amérique profonde : jolie sans être provocante, intelligente mais pas prétentieuse, dévote, respectueuse et voulant devenir institutrice. On le devine à la mine compassée de ses parents et sœurs, après sa mort : c’est un bien grand malheur que la malheureuse ait eu à tant souffrir. Le médecin légiste le clame : tout n’est pas clair dans le décès de la malheureuse, la Justice profane se doit d’examiner le cas du prêtre qui l’assistait peu avant sa mort. Serait-il coupable de négligence ? Serait-elle morte par sa faute ? Lorsque l’avocate Erin Bruner, pur produit cynique d’une société sans âme – elle fait acquitter un meurtrier ! – s’empare du cas pour sa notoriété publique, se doute-t-elle que ce cas va bouleverser ses certitudes et la mener aux frontières du possible ?
Voilà pour le scénario sans surprise de cette baudruche hollywoodienne. L’Exorcisme d’Emily Rose est un film procès, dans la grande tradition de ce genre chéri de l’usine à rêves et il suit toutes les étapes imposées : flash-backs, pathos ronflant et rythme fort peu entraînant. Ne serait-ce que pour ça, nous aurions déjà toutes les raisons de fuir à toutes jambes, mais ce n’est pas tout…
Le réalisateur, fort modeste, avoue, avec son film, vouloir « faire un film qui pousse les gens à se demander ce qu’ils croient à propos du mal, à propos des démons. Inévitablement, en se posant de telles questions, on finit par s’interroger sur Dieu, la morale, la nature de la mémoire et la vérité », rien de moins. La force des grands films sur un sujet similaire – Rosemary’s Baby, La Malédiction, L’Emprise, L’Exorciste – est d’avoir toujours persisté à entretenir le doute quant à la véracité de la possession. Foin de ces doutes dans Emily Rose : les manifestations du démon sont bien réelles et montrées comme telles, même si l’intéressé choisit avant tout de passer par le claquement des portes, qui se trouve être un fort bel artifice pour un film à vocation horrifique, façon « une sueur froide toutes les dix minutes ». Il reste donc au réalisateur à exposer pesamment sa démonstration.
Dans un parti pris peut-être volontaire de « réalisme », le réalisateur ne réserve sa mise en scène qu’aux seules scènes dites « surnaturelles », les autres étant d’une remarquable platitude − ce qui est compréhensible, si l’on se cantonne à la salle de procès. Hélas, les élans hystériques de la caméra rappellent, au mieux, une esthétique « clip » qui eût paru novatrice si elle avait été utilisée au début des années 1980. On peut se demander ce que Tom Wilkinson est venu faire dans cette galère. Laura Linney innove dans un rôle d’avocate à la conversion morale très rapide, et manifestée par – au plus – un changement dans l’ordonnancement de ses cheveux. Enfin, c’est Emily elle-même qui frappe le mieux les esprits. Jennifer Carpenter, qui sur son CV arbore le seul, unique, et ma foi fort enviable F.B.I., Fausses Blondes Infiltrées, compose une possédée qui feule, crie, hurle, grogne, et porte les cheveux gras avec un talent incontestable. Il est fort probable que sa future carrière sera fertile en rôles émouvants, pourvu qu’on y feule, crie, hurle, ou grogne.
Enfin, faire le procès de l’idéologie développée par le film serait peut-être aller trop loin. Mais cette idéologie (la société matérialiste s’est trop éloignée des Vraies Valeurs (lire : valeurs bibliques) et une martyre est nécessaire pour rappeler au peuple l’existence des démons et anges) frise parfois le nauséabond, alors que le film est manifestement cadré pour les États-Unis, où l’athéisme et la laïcité sont en sérieuse perte de vitesse. Et où l’on mène des guerres ouvertement religieuses. N’eût été le manque de qualité cinématographique de cet indigeste flan au pathos dégoulinant, cette simple tendance au manque d’objectivité dans un film si ouvertement à thèse suffira à en écarter le spectateur.