Film monstre né de l’acquisition du studio Legendary Entertainment par le Chinois Wanda, La Grande Muraille est le projet parfait pour incarner le rapprochement entre géants hollywoodiens et magnats immobiliers chinois. Produit dans la fraîchement construite cité du cinéma de Qingdao (par le même groupe), La Grande Muraille mêle scénariste américain et réalisateur chinois, casting de calibre des deux nationalités, équipe technique américaines et figurants chinois, et effets spéciaux singapouriens (Industrial Light & Magic, filiale de Lucasfilm). Best of both worlds, comme on dit. Mais la sauce, loin de prendre, est un véritable bouillon indigeste et indigne des deux traditions cinématographiques dans laquelle elle s’inscrit.
La partie chinoise du film est sans doute la plus réussie. Entendons-nous: les costumes ridicules et l’absence quasi maladive d’humour des personnages chinois font partie du plaisir coupable que l’on peut prendre en tant que spectateur. Mais surtout, le retour du figurant en chair et en os dans le cinéma à grand spectacle (du côté des humains du film) est une des meilleures choses que le réalisateur de La Cité interdite ait pu importer dans ce spectacle hollywoodien. Cela accompagne le discours latent sur le sens du sacrifice du peuple chinois (contre l’égoïsme de Matt Damon), l’ouverture à l’étranger et la confiance mutuelle, tout en nourrissant la démonstration de force mise en scène par l’affrontement démesuré entre les armées de l’empereur et la monstrueuse bouillie numérique qui l’agresse. Sans pour autant être porteuse d’un méta-discours, cette présence des corps physiques sur le champ de bataille face aux aliens de pixels contribue au frisson que la mise en scène, elle, désamorce immédiatement en aplanissant tous les enjeux.
Du côté des influences américaines, le cahier des charges est loin d’être rempli. D’abord, Matt Damon, le leurre du film, est comme parachuté et ballotté dans une intrigue cousue de fil blanc (et dans un monde incroyablement laid). La caricature outrancière des personnages, notamment de celui incarné par Willem Dafoe (improbable figure de traître fourbe), invite à s’inquiéter de la clairvoyance des acteurs sur le choix de leur rôle, tandis que les ressorts dramatiques mal négociés au scénario donnent l’impression que le spectateur subit, comme les personnages, le déroulement de l’intrigue. Mais surtout, l’échec artistique global (et dans une certaine mesure, on le sait déjà, public) marque aussi sans doute le défi de s’adresser à des publics aux cultures cinématographiques bien différentes et vues comme des cibles marketing. À peu de choses près, les outrances et aberrations de La Grande Muraille rappellent un des plus beaux nanars de l’an dernier, Gods of Egypt – la géopolitique en plus.