La Fille du 14 juillet faisait partie de cette fournée d’un « jeune cinéma français pas mort » annoncée par les Cahiers du cinéma dans leur réjouissant dossier du numéro de mai dernier. Antonin Peretjatko passe du court au long, comme Justine Triet, quant à elle programmée par l’ACID avec La Bataille de Solférino ; il partage avec cette dernière un même producteur, Emmanuel Chaumet (travaillant aussi avec Sophie Letourneur et Benoît Forgeard), qui œuvre dans une économie de bouts de ficelles, dans laquelle il s’agit de puiser liberté et inventivité. Il faut souligner son travail consistant actuellement à amener une génération de cinéastes singuliers vers le long-métrage – et l’honneur de sélections cannoises (La Vie au ranch de Sophie Letourneur fut présenté à l’ACID en 2010). Du côté de Justine Triet, le pari est tenu avec un film remarquable dans sa façon de faire se rencontrer (et même cogner durement) l’espace public et les territoires intimes, le romanesque et la matière du réel. Tandis que l’une tombe sous le coup de la lame de la guillotine chez Peretjatko, signalons aussi que les têtes circulent, notamment celle de Vincent Macaigne qui joue dans La Fille du 14 juillet et La Bataille de Solférino, ce qui donne un côté troupe à cette famille de cinéma.
« Folklorisation et muséification »
On ne peut pas dire que Peretjatko témoigne d’un manque de liberté et de créativité. C’est même tout le contraire, un charme allègre émane du curieux mélange entre comédie potache digne d’un Max Pécas et cinéma très citationnel gagné par de multiples effets de distanciation, notamment narratifs. Ceci dans un 16 mm qui semble revenir d’entre les morts, et avec une touche encore plus vintage obtenue par l’accélération du flux de la caméra entraînant saccades du mouvement des comédiens et voix pointues. Ici comme dans ses courts (French Kiss, L’Opération de la dernière chance), la grande affaire de Peretjatko est un burlesque qui oscille entre degré zéro et (au moins) dixième degré. La Fille du 14 juillet est perpétuellement gagné par des trouées entre contemporain et références au passé, insistant sur des formes de folklorisation et muséification de l’histoire nationale, de la Révolution à la Commune en passant par le Front Populaire et Mai 1968, sans oublier La Liberté guidant le peuple de Delacroix qui semble accroché dans tous les intérieurs de France. La rencontre entre ces régimes temporels passé/présent – la perturbation est appuyée par l’apparition de la DeLoreane DMC 12 de Retour vers le futur – se distingue particulièrement bien dans la scène d’ouverture où des plans documentaires du défilé de la fête nationale sont distordus par l’accéléré. Militaires et chefs d’État (alternance respectée : Hollande succédant à Sarkozy) sont par ailleurs rendus à impitoyable pantomime, dans une raideur ridicule évoquant un gaullisme compassé. La simplicité de l’effet ne réduit pas son efficacité, Nicolas Sarkozy apparaissant tel qu’en lui-même, une parfaite doublure de Louis de Funès. Quant à François Hollande, son « modèle » reste à trouver…
« Qu’est-ce que je peux faire ?»
La Fille du 14 juillet est une histoire d’amour et d’embardées en bagnoles, de vacances et de fusillades, d’amitié et de crise économique – une sévère politique d’austérité décrète l’avancée d’un mois de la rentrée, fixée au 1e août dans une ambiance tenant à la fois de la débandade et de la guerre civile. Le jour de la fête nationale, Hector, gardien de musée, tombe amoureux de la belle Truquette. Un départ en vacances s’organise dans la foulée, avec Pator, faux médecin en fuite, et Charlotte. Le malfaisant Bertier est aussi de la partie, il manigance pour soustraire Truquette, afin de la séduire à l’aide d’un manuel de drague. La troupe n’a alors qu’un objectif : que Hector retrouve Truquette afin de vivre leur amour naissant. Sur la frénésie de gags et de péripéties souffle un vent anarchiste, notamment une pensée anti-travail. On pense beaucoup aux Pieds Nickelés, mais, encore plus franchement, aux fugues godardiennes ; les jeux chromatiques et graphiques de la mise en scène renvoient à Made in USA ou Week-End, et surtout à Pierrot le fou – dans un très beau plan large, Truquette, désœuvrée, marchant sur l’estran ne serait-elle pas en train d’entonner l’emblématique « Qu’est-ce que je peux faire ? Je sais pas quoi faire. » L’indéniable énergie peine cependant à se maintenir sur toute la durée, l’accumulation devient une sorte de rythme de croisière qui donne l’impression que le film patine. Il lui manque peut-être d’avoir su créer une nécessité à cet amour et un lien indéfectible entre les personnages, et du spectateur à leur encontre. Aussi le burlesque – classique comme moderne – entretient-il une émotion et une part tragique qu’Antonin Peretjatko ne parvient pas, ou trop peu, à faire émerger. De ce fait, La Fille du 14 juillet n’est que sympathique, ce qui n’est tout de même pas rien.