C’est l’histoire d’un rêve : celui d’un cinéaste qui, après un premier essai raté (Human Nature, 2001) et un très beau second film un brin impersonnel (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 2004) réussit, avec son troisième long métrage, à laisser libre cours à sa fantaisie et à redonner tout son sens à un terme galvaudé dans le cinéma contemporain : la poésie. Comme ces poèmes que l’on apprenait par cœur et récitait avec enthousiasme lorsque l’on était petit. Là réside toute la beauté de La Science des rêves : Gondry signe un film pour enfants destiné aux adultes, qui s’adresse au môme qui sommeille en chacun de nous et que le réalisateur, avec son savoir-faire désuet de magicien de l’image, vient réveiller d’un grand éclat de rire.
Car La Science des rêves est drôle : pour son premier scénario (ses deux films précédents étaient signés Charlie Kaufman, le doux dingue auteur de Dans la peau de John Malkovich et Adaptation.), Gondry se révèle un dialoguiste adepte de l’absurde, mêlant à l’acidité du canevas propre aux meilleures comédies romantiques un peu de graveleux façon Les Nuls et d’hystérie monty-pythonesque. Ce qui n’est pas de trop pour conter l’histoire farfelue de Stéphane (Gael García Bernal), jeune franco-mexicain de retour en France chez sa mère (Miou-Miou) après la mort de son père, perdu dans un Paris qu’il ne connaît pas et une langue qu’il maîtrise mal, et qui hérite d’un job pas possible de graphiste dans une boîte de confection de calendriers ringards. Par hasard, Stéphane fait la connaissance de sa voisine de palier, Stéphanie (Charlotte Gainsbourg), qu’il va essayer de séduire en suivant les conseils plus ou moins avisés de Guy (Alain Chabat), son collègue de boulot, et ce malgré une aptitude assez catastrophique à mélanger ses rêves à une réalité qu’il ne parvient jamais à maîtriser.
Pour qui connaît la folie visuelle dont Gondry a fait preuve dans les nombreux clips qui ont fait sa réputation (pour Björk, les White Stripes, Kylie Minogue ou Kanye West, entre autres), La Science des rêves fera office de vrai premier film du cinéaste, celui dans lequel ce savant fou projette à l’écran ses délires oniriques sous la forme de figurines en feutrine, de nuages en coton et autres villes en carton pour figurer les rêves de Stéphane. Le contraste est d’autant plus délicieux que le monde réel est filmé sans fioritures, caméra à l’épaule traquant l’intime avec une extrême douceur, donnant libre cours à des comédiens pas coiffés, pas maquillés mais visiblement ravis d’avoir du temps pour tricoter leurs personnages. De Gael García Bernal, juste et attachant dans sa naïveté enfantine là où d’autres auraient versé dans l’insupportable, à Charlotte Gainsbourg, toute en légèreté, en passant par un Alain Chabat que l’on n’avait pas connu aussi drôle depuis ses aventures Nullissimes, ils sont tous parfaits.
Éminemment autobiographique, le personnage de Stéphane revient dans une France qui est sa terre d’origine mais dont il ne parle quasiment pas la langue ; Gondry, lui, réalise pour la première fois un film à Paris mais le décalage procuré par ses multiples expériences cinématographiques et télévisuelles aux États-Unis font de lui un artiste à part, un peu apatride. De ce flou identitaire, Gondry extrait surtout un sentiment de solitude qui, en plus de justifier en partie le repli de Stéphane sur son imaginaire, élève le film bien au-delà de son épatante créativité formelle. On retrouve notamment un peu des envolées lyriques de Eternal Sunshine of the Spotless Mind (des scènes portées par une montée en puissance de la bande musicale) mais, surtout, de ce sentiment de frustration lié au désir de transcender une vraie difficulté à communiquer pour, enfin, trouver l’apaisement dans les bras de l’autre. Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Jim Carrey et Kate Winslet dépassaient la crainte d’un échec passé dont ils avaient effacé le souvenir pour prendre le risque de s’aimer (et de se perdre) à nouveau. Dans La Science des rêves, Stéphane et Stéphanie s’aiment mais l’aveu de leur attachement ne passe que par le rêve ou l’écriture ; quand Stéphanie dit enfin « je t’aime » à Stéphane, c’est seulement quand celui-ci est endormi. Leurs sentiments, ces deux grands enfants ne se les expriment que dans leurs délires créatifs communs : confection d’une mini arche de Noé dans laquelle pousse une forêt, fabrication d’une machine à remonter le temps d’une seconde (!) qui donne une excuse à Stéphane pour prendre Stéphanie dans ses bras, et bien d’autres…
D’une situation de comédie usée jusqu’à la corde, Gondry tresse une œuvre ultra-personnelle dont le sous-texte psychanalytique réussit l’exploit d’être profondément pertinent sans jamais nuire à l’émotion brute qui se dégage d’une histoire d’amour somme toute très simple. La dernière scène, magique, ravive tous les rêves de l’enfant que nous avons été tout en laissant la porte ouverte aux fantasmes des adultes que nous sommes. Michel Gondry redonne ainsi au merveilleux toutes ses lettres de noblesse.