Une virée en bus avec une bande de lycéens du Bronx. C’est la fin des cours, les gosses se ruent vers la sortie pour un dernier trajet avant les vacances d’été. Les vannes fusent, les blagues potaches s’enchaînent et les usagers, assaillis, résistent tant bien que mal à ce mascaret chaotique. Tandis que les mecs du fond tyrannisent les plus faibles, une fête d’anniversaire s’organise, les textos s’échangent à la vitesse où les couples se font ou se défont. Arrêt après arrêt, le groupe s’étiole, les conversations se resserrent, l’hystérie descend et fait place à plus d’intimité.
On voit bien ce que cherche à faire Gondry : distiller par ce petit laboratoire en transit une essence d’énergie juvénile, une « roue libre » de la parole, le tout sur une bande-son hip-hop qui indique bien la valeur performative des échanges – une sorte de battle permanent. Pour ces ados, la parole est un bricolage de chaque instant, une construction inventive, irrévérencieuse, brutale et inflationniste. Il y a cette idée formidable – contenue dans le titre – d’un glissement progressif du collectif à l’individuel. Mais Gondry n’excelle pas à filmer le ping-pong des conversations. La constance du régime potache finit par donner à l’exercice l’allure d’une suite de sketches – monotonie qui, il faut bien le dire, s’atténue au dernier tiers du film. Le dispositif du huis clos transitoire, en tant qu’abstraction, donnait pourtant à Gondry l’occasion de pousser son art du bricolage affabulateur un peu plus loin.
Une scène hilarante le souligne assez clairement. Un gringalet mythomane raconte à ses camarades, pour se faire mousser, une soirée fantasmée comme s’il en avait été le roi : séducteur, il aurait déboulé en limousine en pleine boîte de nuit et ramassé toutes les filles, à l’aise. Une représentation mentale de la soirée, faite de bric et de broc, met ses incohérences à nu. Les artifices dont use alors Gondry – récupération de matériaux, coloriages et découpages de maternelle – nourrissent idéalement la déformation subjective du mensonge, en le chargeant d’éléments enfantins. S’il avait poussé le film dans cette voie ludique, celle de l’affabulation mise en images, il aurait effectivement capté quelque chose de l’effervescence du discours adolescent, pris dans sa gonflette et sa surenchère. Les délires de la langue auraient trouvé dans l’image un territoire mobile, un indice de dérision, un agent de dégonflement permettant de plus fructueux échanges.
Mais, enfin, il ne faut pas bouder son plaisir devant cette agréable récréation, réalisée dans les interstices du tournage de The Green Hornet.