Ce n’est pas une œuvre d’art, ni une installation pédagogique mais un terrain de jeu au plein cœur du musée. « Un atelier de créativité où l’on fabrique soi-même son divertissement. » Michel Gondry définit ainsi son Usine de films amateurs en place et en activité au Centre Pompidou depuis le 16 février. Visite guidée avec ce bricoleur-réalisateur-rêveur à l’origine du projet.
« Les groupes se composent de façon aléatoire, et comportent huit à vingt personnes. Dans un premier temps, les participants doivent choisir le genre de leur film. Le mieux c’est de coupler deux genres, c’est plus rigolo. Puis ils trouvent un titre. Et après ils écrivent l’histoire. Tout le monde doit avoir un rôle dans le film, sauf la personne désignée comme caméraman. »
À l’intérieur de l’installation située au rez-de-chaussée, on découvre un labyrinthe de décors, autant de mondes et d’univers que Gondry et son décorateur, Stéphane Rozenbaum (un copain de l’école d’Arts Appliqués), mettent en partage. Cuisine, chambre, lavabos, c’est un peu l’Ikea du Ça.
… Et aussi, une tente SDF, une entrée d’immeuble (volontairement basse pour que les enfants puissent participer), une cuisine, un café, une station de métro (dont on peut changer le nom), un cabinet de docteur qui se transformera au fil des semaines en commissariat puis en cabinet de ministre ! Autre décor non négligeable, « une chance » selon Michel Gondry : les fenêtres de Beaubourg qui ouvrent sur « une réalité ».
Dans ces lieux recréés avec parfois trois bouts de ficelle, on peut faire un film en trois heures à l’aide d’une caméra HD, et d’un micro externe. Et ce, à partir des règles propres au dispositif : c’est « One take, good take » précise Gondry, « on ne fait qu’une seule prise », le film est un « tourné-monté », c’est-à-dire qu’on le construit en même temps qu’on le tourne. Cela vaut aussi pour les effets spéciaux, comme l’indique ce bout de carton pouvant servir de ciel selon le placement de la caméra, ou ce miroir à effet infini.
Tiens, un fauteuil roulant : « pour faire des travellings » traduit Gondry. Et là, une astucieuse invention : une voiture derrière laquelle un écran diffuse des images de circulation. Le conducteur qui s’installe au volant peut, selon l’intensité de la scène dans laquelle il joue, appuyer sur l’accélérateur du bolide et ainsi accélérer l’image derrière lui ou au contraire freiner et provoquer un arrêt sur image. Plus loin, une chapelle. On se souvient alors de ce tas d’accessoires, allant de la robe de mariée au téléphone très « sixties »… « Les participants peuvent bien sûr apporter leur propres objets. »
La visite se termine dans un vidéoclub façon Be kind rewind, dans lequel une étagère a été laissé volontairement vide pour qu’au cours des sessions, les participants y laissent leur film, dont ils auront préalablement conçu la jaquette.
Gondry concentre l’intérêt de cette expérience initiée à New-York et à Sao Paulo, dans la démarche qu’elle implique. « Le faire ensemble » est l’essence de ce projet au cours duquel des personnes de tous horizons sont amenées à participer à la fabrication d’un film alors qu’elles ne se connaissent pas.
Une telle expérience pose également la question de l’intuitivité. Pour les initiés l’exercice n’est-il finalement pas plus difficile ? Dire « action ! » avant d’allumer la caméra demande à désapprendre certains codes de la profession… L’Usine n’est donc pas seulement un terrain d’amusement, elle rappelle la dimension collective et collégiale qu’est la fabrication d’un film et donne ce pouvoir d’expression à tout un chacun. Gondry raconte qu’à São Paulo, un groupe de personnes issues d’un bidonville a participé, alors qu’aucunes d’entre elles n’avaient jamais vu de film de sa vie.
Ce qu’il remarque, c’est que peu importe la composition du groupe, à la fin des trois heures, lorsque les participants regardent leur film, les rires fusent. « On a une relation particulière à son film. » Celui-ci trahit souvent les conditions de tournage, ses erreurs. « La perfection est votre ennemi ! » revendique Gondry.
Avant d’être un réalisateur génial, Michel Gondry est un cinéphile de la première heure. Sa carte blanche au Centre Pompidou et sur Cinécinéma suit d’ailleurs de près sa ligne de vie. Beaucoup de films datent des années 1970 et 1980, décennies dans lesquelles le jeune Michel Gondry découvrait le cinéma qui allait l’influencer. Parmi ceux-ci, on reconnait une grande diversité concentrée autour d’un point commun étonnant : un ton profondément social quand bien même les univers sont davantage poétiques que naturalistes.
Confier une programmation à Michel Gondry, est un « rafraichissement garanti » raconte Bruno Deloye, directeur des chaines Cinécinéma Classic et Culte. Ce dernier a d’ailleurs dû partir à la chasse aux films rares pour honorer les choix singuliers de Michel Gondry.
En témoigne ce drôle d’Egg, un moyen métrage Hollandais de Danniel Danniel qui raconte l’histoire d’un boulanger au quotidien doux bien que routinier poussé par ses amis à sortir de son célibat. Le film se déroule comme une fable même si la première séquence, quasi documentaire, lance le spectateur sur une autre piste. On y voit, sans un mot échangé, le boulanger et ses apprentis terminer leur fournée. La caméra est posée sur le plateau avec les miches sorties du four. Ce plan est emprunt d’une fantaisie que l’on retrouve à travers les cartons souvent décalés et absurdes qui ponctuent le récit. Plus tard, la mise en scène s’emballe lorsqu’il s’agit de traduire à l’image les fantasmes et autres projections provoqués par les échanges épistolaires des personnages.
Un motif cher à Gondry que l’on retrouve dans deux autres films de la programmation : Deux filles d’aujourd’hui, de Mike Leigh et Two Friends de Jane Campion. Leur titres pourraient s’inter-changer tant les films présentent des similitudes. Tout deux racontent l’histoire d’une amitié féminine au sortir de l’adolescence, abimée par la vie. Le film touchant et humaniste de Mike Leigh montre les retrouvailles de deux anciennes colocataires et remonte le temps (autre thématique phare du cinéma de Gondry !) avec des flash-backs relatant l’époque de leur cohabitation. À rebours, c’est aussi la construction singulière du premier (télé)film de Jane Campion, déchirante observation de la séparation progressive de deux amies australiennes.
Le climax dramatique de la carte blanche revient au maitre du film social, Ken Loach, avec son deuxième film, Kes. Billy Casper, un petit garçon délaissé et en marge de tout système, décide de dresser un faucon. Les séquences montrant l’enfant à l’école son incroyablement dures. L’institution est représentée comme un lieu dépourvu d’humanité, et les professeurs sont des personnages pervers à l’instar du scandaleux professeur de sport sadique.
Des films tristes oui. C’est la tonalité dominante de la programmation contrebalancée par quelques exemples de films français moins bouleversants. C’est le cas de ces deux films avec Michel Serrault, L’Ibis rouge de Jean-Pierre Mocky, dernier film de Michel Simon, et La Gueule de l’autre de Pierre Tchernia. Loin d’être des chefs d’œuvre, ils transpirent les années 1970, période dont les codes esthétiques sont recyclés dans l’univers cinématographique de Gondry.
Pour preuve le mobilier de l’Usine de films amateurs, que l’on croirait directement sorti de ces deux films.