Trois ans après son premier thriller inclassable Les Heures du jour, Jaime Rosales nous livre La Soledad, drame émouvant de quelques destins croisés au cœur de la capitale espagnole. Tout en alliant description sociale et recherche esthétique, le réalisateur conduit tout droit vers la déstabilisation du spectateur.
Adela et Antonia ne se connaissent pas. Adela est une jeune provinciale du Pays Basque espagnol qui décide de commencer une nouvelle vie à Madrid avec son nouveau né. Antonia, la soixantaine, mène une vie sans heurt dans la capitale espagnole entourée de son compagnon et de ses trois filles. Voici deux femmes aux destins croisés (à Madrid, Adela devient la colocataire d’une des filles d’Antonia) qui ne se rencontreront pas mais que nous suivrons pas à pas, durant une même période de quelques mois, dans leurs épreuves de vie respective.
Le cinéma espagnol est finalement en bonne santé sur le plan de l’originalité. Après un [Rec] dégoulinant de déjà-vu, La Soledad a le mérite de tenter une recherche esthétique sortant de l’ordinaire. Dès le premier plan, le décor est planté : des vaches broutent de l’herbe dans un pré, un poteau électrique parfaitement vertical en plein centre de l’image coupe le plan en deux parties presque isolées. C’est une manière de nous donner une première sensation de ce que le réalisateur utilisera par la suite pour ponctuer son œuvre : le split-screen. L’écran est séparé en deux parties égales dans lesquelles évoluent les personnages, livrant de manière assez troublante différentes perspectives d’un même lieu. À peine un tiers du film est tourné et monté de cette manière et pourtant l’effet s’étire sur tout le long métrage. Utilisé bien plus comme un langage et non comme un effet de style, la polyvision ne fait que renforcer la distance émotionnelle qui sépare les personnages. De nombreux dialogues sont filmés sous ce procédé. Un personnage de profil à gauche, l’autre de face à droite, en passant du gros plan au plan d’ensemble sans jamais apercevoir l’autre dans l’écran de l’un. Tour à tour, chacun est isolé des autres malgré la proximité de ses interlocuteurs, provocant une immense sensation de vulnérabilité et de solitude (voici donc la justification du titre). Ce procédé et la sensation principale de La Soledad rappelle l’adage du bouddha : « On naît seul, on vit seul et on meurt seul. » Car même si la naissance, par définition, suppose une relation à l’autre, les différents ressentis de toute une vie sont uniques et propres à chacun. Personne ne peut les vivre à notre place. Seul ne veut pas dire isolé car à travers La Soledad, d’un point de vue scénaristique, on ne parle pas d’isolement. L’entourage familial et amical étant particulièrement présent, seul le procédé de l’isolement par cadrages provoque cette solitude. Ils ont beau se partager l’écran, les personnages restent irrémédiablement prisonniers de leurs souvenirs, de leurs angoisses ou de leurs douleurs.
Une jolie expérimentation avec comme seul point noir, une durée totale de deux heures et treize minutes pas forcément justifiée. Car lorsque le split-screen s’efface, ce sont de longs plans fixes qui s’imposent. Certaines scènes en deviennent inutiles. Le montage est extrêmement lent, de longs plans séquences s’étirent et auraient mérité d’être éludés pour faire passer le métrage sous la barre des deux heures. Comme pour parer à cette embûche, l’œuvre, à la manière d’un récit littéraire, est ponctuée de chapitres, ce qui aide le spectateur trop pressé d’en finir, à se situer dans un temps chronologique. Ainsi, le thème impérissable et œcuménique de la solitude pousse le spectateur à ne pas perdre patience et à se prendre pleinement au jeu devant tant de véracité.