Entretien avec le cinéaste espagnol Jaime Rosales le lendemain de la présentation de son beau Petra à la Quinzaine des Réalisateurs.
La Belle Jeunesse, votre film précédent, s’apparentait selon vous à un nouveau premier film après vos quatre premiers longs métrages. Comment Petra s’agence dans votre filmographie et donc votre nouvelle trajectoire en tant que cinéaste ?
Rêve et Silence a été un aboutissement et une rupture dans ma filmographie. Toute ma vie durant, j’ai cherché une matrice avec des formes très personnelles. J’ai réussi à réaliser ce film que j’adore et qui a un rapport très important avec la spiritualité, le langage et le cinéma. La réception de Rêve et Silence se passe très mal… j’ai failli tomber dans un trou noir auto-destructeur et arrêter le cinéma pour me mettre à l’architecture. J’ai refusé cela et je m’en suis sorti en réalisant très vite La Belle Jeunesse il y a trois ans et Petra aujourd’hui. Ce sont des films très différents mais ils ont en commun de se poser cette question : comment accéder à un public plus large tout en me retrouvant comme cinéaste ?
Est-ce pour cela que vous choisissez la tragédie comme modèle pour Petra ?
Oui, c’est vrai. La tragédie contient une force inaltérable. Je suis donc retourné à l’école ! J’ai lu ou relu des textes pour comprendre le fonctionnement de la tragédie, notamment la Poétique d’Aristote. J’ai aussi relu les interprétations contemporaines écrites par David Malet, ainsi que les écrits de Shakespeare évidemment. J’ai aussi revu énormément de classiques américains… C’est étrange : j’ai passé ma vie à explorer la radicalité du cinéma contemporain. Et aujourd’hui je reviens à tous ces classiques !
Quel était le désir de cinéma spécifique à Petra ? On y retrouve notamment cette caméra flottante déjà présente dans Rêve et Silence, et que vous décrivez comme le « regard de l’ange ».
Vous avez raison. Rêve et Silence a aussi été un moment d’apprentissage. J’y ai trouvé cette caméra flottante que j’apparente effectivement à un regard d’ange sur le monde. Sur Petra, qui a une vocation plus large, j’ai décidé d’utiliser ce regard de l’ange sur toutes les scènes.
Techniquement, comment cela se passe-t-il ?
Cela a été très dur pour mon steadicamer qui faisait l’inverse de ce que l’on lui demande habituellement sur un tournage normal. Il fallait ne pas bouger et démarrer le mouvement puis s’arrêter… Avec Hélène Louvart, la directrice de la photographie, on a réalisé qu’on lui demandait en fait un travelling humain et un regard subjectif ! Le mouvement changeait sur chaque prise car les acteurs avaient la liberté de modifier leur position… Cela était donc très dur pour lui ! L’idée était aussi de se demander qui regarde les scènes : est-ce le réalisateur ? Non. Est-ce le spectateur ? Non ! C’est donc une entité mystérieuse dont le regard balaie les scènes.
Vous utilisez pour la première fois de la musique originale. Elle semble frapper les personnages par son intervention soudaine. Comment l’avez-vous conçue ?
La musique a certainement été l’élément le plus compliqué sur la fabrication de Petra. Je viens de l’école bressonienne, donc de la restriction. On voulait faire le film en Steadicam avec un objectif de 50mm. J’ai demandé au musicien Kristian Selin Eidnes Andersen de faire toute la partition a cappella, sans mot mais avec des chœurs et différentes techniques. Je lui ai demandé la musique avant le montage.… Si je commençais le montage sans musique, j’aurai été incapable de l’ajouter ensuite. Et en même temps, je ne savais pas comment la placer… C’est ma productrice, Bárbara Díez, qui a placé la musique de manière instinctive et uniquement lorsque les personnages sont tous seuls (sauf sur la scène de fin où l’on peut se permettre une exception).
Comment avez-vous travaillé avec les acteurs et notamment Bárbara Lennie ?
Je me suis rendu compte que je savais mettre les acteurs sur une même note, pour reprendre une métaphore musicale. J’essaie de les mettre sur un même niveau de jeu en discutant avec eux, en souffrant avec eux, en pleurant avec eux… Ce sont des techniques différentes selon les acteurs. Cela a été beaucoup d’angoisse mais aussi beaucoup de plaisir. Bárbara Lennie est si bien dans sa peau qu’elle donne à toutes ses scènes une tonalité tellement particulière. Je pense évidemment aux scènes de danse dans lesquelles elle s’abandonne complètement !