Les trois premiers films de la saga des morts-vivants de George A. Romero sont articulés autour d’un même trajet désespéré vers une destination voulue comme salvatrice mais qui se révèle finalement être une tombe. Dès l’ouverture de La Nuit des morts-vivants, la voiture des protagonistes suit une route qui mène dans un cimetière. Pour en marquer symboliquement l’entrée, se dresse ostensiblement un drapeau américain que le véhicule franchit comme une frontière : en un plan, Romero fait du homeland américain le territoire des morts, une impasse pour quiconque y pénètre. Les personnages s’y retrouve piégés, immobilisés, comme empoisonnés par ce lieu hanté. Au fil de la trilogie, l’idée d’un cloisonnement mortel se fait ainsi le terreau de nombreuses récurrences visuelles, à l’image de ces personnages endormis contre des murs qui ouvrent les deux films suivants, Zombie et Le Jour des morts-vivants.
Temporairement à l’abri du danger, les survivants déambulent dans des habitations glacées et vidées de toute vie humaine. Les nappes ont beau être tirées sur les tables, les fusils accrochés au mur et la télé allumée, les objets ont perdu leur raison d’être. L’écran cathodique ne diffuse d’ailleurs plus rien dans Zombie, tandis que de grandes photographies de paysages de carte postale recouvrent les murs du refuge du Jour des morts-vivants pour mieux cacher le vide de cette nouvelle condition. Cela n’empêche pas certains d’y siroter un dernier verre le temps d’une partie de cartes et d’autres de s’installer sur une fausse terrasse de gazon synthétique pour bouquiner. Après tout, pourquoi ne pas continuer comme avant ? L’apocalypse pourrait bien attendre derrière une porte fermée à clef, pour peu d’y croire et de s’organiser. Chaque film représente dans cette perspective une nouvelle étape dans la progression de l’enfermement : d’abord une maison de campagne, puis un supermarché dont l’abondance de ressources dissuade ses occupants de s’aventurer à l’extérieur, et enfin une base militaire qui enterre littéralement ses habitants dans le troisième film. « What have we done of ourselves ? » s’interroge une des protagonistes de Zombie, constatant l’horreur de sa situation. La réponse est évidente : cet état léthargique, dont les seuls soubresauts consistent à tuer et consommer, se révèle être désormais le lot des morts comme des vivants.
Les irréductibles qui se refusent à croire en la fin du monde tel qu’il pouvait exister proposent alors de se barricader. Des planches sont clouées sur les fenêtres et sur les portes. Une fois la frontière érigée entre l’intérieur et l’extérieur, le danger se voit amoindri, car réduit au rang de spectacle. Cet autre lieu (tout ce qui n’est pas considéré comme faisant partie de l’intérieur) est habité par des personnages que l’on peut clairement désigner comme autres que soi, de la même manière que les spectateurs peuvent se distinguer des personnages d’un film. Les habitants du foyer assistent alors à la barbarie du dehors, à l’instar des personnages de La Nuit des morts-vivants qui ne peuvent se détourner des scènes de cannibalisme se déroulant sur le pas de leur porte. Dans Zombie, les rescapés rient ouvertement de la gaucherie des morts-vivants derrière la surface d’une baie vitrée, autrement dit d’un écran. Sauf que les créatures commencent elles aussi à regarder vers l’intérieur, renversant le rapport de force entre les personnages et les spectateurs.
Pour fuir cette intrusion d’un genre nouveau, les survivants cherchent à se soustraire à ces regards, sous terre s’il le faut. Mais il est déjà trop tard, les murs sont des surfaces friables qui ne font plus écran, traversées par les corps des envahisseurs. Les portes ne mènent nulle part si ce n’est parmi les monstres, de telle sorte que les partisans de l’enfermement se retrouvent impuissants face à la disparition de leur si chère frontière. Les autres, c’est-à-dire les rares survivants qui parviennent malgré tout à fuir, n’échappent d’ailleurs pas davantage à ce piège refermé depuis déjà bien longtemps sur eux, condamnés à chercher un nouvel endroit où se retrancher du monde et par-là même reproduire l’acte qui fit de leur foyer une sépulture.
