Sous ses apparences de romance mièvre, le nouveau long-métrage de Jason Reitman se présente d’emblée comme un film de la dualité ; entre la profondeur et la surface, le passé et le présent, la séduction et la répulsion, l’enfermement réel et l’évasion psychologique. Presque sept ans après avoir permis de découvrir au public les talents de la jeune Ellen Page grâce à Juno, Jason Reitman adopte pour cette cinquième réalisation un ton nettement plus dramatique, qui flirte souvent avec un traitement kitsch, mais d’où émane une sensualité réellement saisissante.
Une cavale peu ordinaire
Le hasard réserve parfois de drôles de rencontres. Jamais la belle Adele (Kate Winslet), mère solitaire d’un jeune adolescent, n’aurait un jour imaginé rencontrer un détenu en cavale dans son épicerie de quartier. Rapidement, l’individu, dénommé Franck (Josh Brolin) leur demande de le conduire jusqu’à chez eux, afin de pouvoir s’y cacher. Si la nature de cette rencontre possède déjà un aspect exceptionnel, les circonstances qui enveloppent son insertion dans le film le sont encore davantage. D’entrée de jeu, Jason Reitman offre au spectateur un outil précieux d’appréhension de cette rencontre ; la naissance de la sexualité du jeune adolescent face à la sexualité réprimée de sa mère, qui est sujet à des tremblements frénétiques des mains, déclenchés sous l’effet du stress et de la peur.
Ce décalage inscrit dès lors le film dans une problématique quasi freudienne, et permet de démultiplier les niveaux de lecture de la relation qui s’instaure entre les trois personnages, même si l’on comprend rapidement que c’est la sexualité – consciente ou inconsciente, latente ou réelle – qui sera au cœur du film. La relation entre Franck et Adele prend en effet progressivement une tournure amoureuse, et engendre comme enjeu principal la réactivation de la sexualité de la mère. La progression de cette intrigue se conjugue alors avec l’éveil sexuel du jeune adolescent, tout à fait alerte vis-à-vis du devenir des événements entre sa mère et l’ex-détenu, mais également lui-même en proie à un sentiment ambivalent, d’attirance et de répulsion envers Franck. Ce dernier s’impose en effet très vite au sein de cette micro-cellule familiale comme un instigateur hors pair, une forme de prédicateur qui suscite l’admiration partagée d’Adele et de son fils, devenant à la fois un mari et un père de substitution.
Se méfier des faux-semblants
Si la relation entre les trois personnages semble au premier abord gagner une stabilité, l’équilibre de cette cellule familiale recomposée est progressivement fragilisé par l’émergence d’une jalousie œdipienne de l’adolescent, dont l’éveil amoureux – il se rapproche d’une nouvelle camarade de classe – fait également naître un instinct de pouvoir et de manipulation. Reconquérir l’attention de la mère s’accompagne alors d’une tentation de la dénonciation. Jason Reitman mêle ainsi la sexualité aux instincts primitifs comme pour mieux l’assimiler à un mécanisme d’individualisation, et orchestre efficacement une tension dramatique à partir d’une évidenciation des images symboliques.
La démonstration de la recette de la tarte à la pêche possède en effet un aspect kitsch qui frise le ridicule – il est moins question de préparation culinaire que de la simulation d’un acte sexuel – mais permet d’exploiter ici l’évidence comme un inattendu, un événement dramaturgique à part entière, et d’en préserver la véritable signification et part de latence. La dualité existe alors bel et bien comme une matrice dangereuse, subtile, qui donne aux corps suintants de nos trois protagonistes un cadre d’expression tout à fait fascinant et troublant.