Nick Naylor est un jeune lobbyiste dont le talent principal est de savoir communiquer aux masses les bienfaits et le bonheur que procure la cigarette. Par des inversions rhétoriques constantes, il parvient à défendre l’indéfendable et à justifier la publicité qu’il fait aux grandes industries du tabac. On retrouve dans Thank You for Smoking les ingrédients normaux de la comédie vitriolée : une rasade d’humour qui fait souvent mouche, une pointe de cynisme qui ne déplaira pas aux amateurs de politiquement incorrect, et, malheureusement, une touche finale de mélodrame qui affadit un brin le propos de Jason Reitman sur la civilisation de l’image et la perversion du discours public.
On a parlé à juste titre, lors de la sortie de Little Miss Sunshine, des liens indéfectibles de la comédie américaine et de la télévision d’outre-Atlantique : là encore, on perçoit dès le générique un attachement au kitsch des années 1960, et un certain amour de la construction anachronique que l’on retrouve notamment dans le générique de la série Desperate Housewives. On retrouve d’ailleurs dans des seconds rôles tout à fait tenus Maria Bello, ex-médecin d’Urgences, et Katie Holmes (qui n’a donc pas été enfermée par son scientologue de mari), ex-Joey du dégoulinant Dawson. On entre donc dans l’univers de Jason Reitman par la mise en valeur d’un lien direct avec ce que l’on nommera généralement « la société de consommation ». Et qu’il y a‑t-il de plus encombrant, au sens moral et financier, que les grandes multinationales du tabac ? Michael Mann en avait fait un thriller, Jason Reitman a choisi la carte de la satire sociale.
Au centre de cette satire, le personnage de Nick Naylor, petit génie de la communication qui manie verbe et arguments avec une dextérité toute cicéronienne. Il est ainsi capable de défendre la cigarette et ses plaisirs sur un plateau de télévision qui comporte un médecin, et un enfant de quinze ans atteint d’un cancer du poumon. Face aux discours alarmistes des spécialistes et hommes politiques, il va de syllogisme en syllogisme, et réussit à convaincre un auditoire faiblard. Car la première critique acerbe de ce film est faite au public même, capable visiblement de gober n’importe quel argument bien construit en dépit du bon sens médical. Jason Reitman montre une société percluse d’images de toutes sortes, de discours plus ou moins pensés, et où le gagnant est toujours celui qui sait communiquer.
L’étude d’un monde de spectacle est en elle-même fort intéressante, si elle n’est pas très originale par les temps qui courent. Thank You for Smoking réussit le pari de faire rire et de pointer justement les obsessions du peuple américain sur le tabac. En témoigne une scène particulièrement réussie où l’équipe de communication a l’idée de remettre à la mode les acteurs qui fument, car, à l’image, « celui qui fume est un psychopathe ou un Européen », ou un RAM, « Russians, Arabs or Means », en français, Russes, Arabes ou méchants. Il suffit de se souvenir du personnage du fumeur dans X‑Files ou des discours anti-tabac dans Friends pour confirmer cette opinion. Comme sur d’autres sujets, la bataille contre le tabac passe donc par la peur. Et non par la responsabilité de chacun face à un choix.
C’est ce travers que souligne Jason Reitman – le show permanent qu’est l’existence moyenne aujourd’hui – avec beaucoup d’humour. Certains dialogues font mouche, notamment lors d’un dîner où Nick voit un ami ajouter du fromage fondu sur son dessert et s’exclame : « C’est répugnant ! », avant qu’on lui réponde : « C’est américain ! » De plus, Nick Naylor a un fils (brillamment interprété par le jeune Cameron Bright), vivant chez son ex-femme, qui apprend peu à peu à faire sienne la démarche de son père, et qui honore le film de quelques répliques particulièrement mordantes. Mais c’est justement dans le personnel que le bât blesse.
C’est une société de représentation totale qui est critiquée dans Thank You for Smoking, où la responsabilité de Nick Naylor sur la vente de cigarettes se retrouve en porte-à-faux avec son rôle de père. Si le thème est porteur, il aurait pu être développé de manière moins mélodramatique. Dès que l’on entre dans la vie privée de Nick, on passe immédiatement de la satire à la comédie de mœurs. On en revient donc au défaut de nombreux films américains : commencer dans le politiquement incorrect pour finir dans la banalité la plus grande. Jason Reitman se laisse, au fil du film, plonger dans le rapport père-fils et dans le thème du divorce. Il rebondit pourtant en fin de course sur la renaissance de son personnage qui avait subi le pire : ne plus avoir la parole.
Thank You for Smoking fait partie de ces œuvres qui flattent le spectateur européen dans sa haine/jalousie des États-Unis (le comble du chic étant de boire un Margaux 82), et témoigne de la vigueur de la critique sociale américaine à l’écran, comme il y a quelque temps Scary Movie 4. Elle est cependant une nouvelle fois parasitée par un fade retour aux bons sentiments, qui gâchent, sans le plomber totalement, ce premier film prometteur.