The Front Runner – titre ironique que l’on peut traduire par « tête d’affiche » – fait le récit d’un fiasco : le désistement de Gary Hart de la campagne à l’investiture du parti démocrate de 1988 suite à un scandale extra-conjugal, alors que le sénateur du Colorado était en tête des intentions de vote, entraînant la débandade de son camp et l’élection de George Bush.
Le film s’assume d’emblée comme porteur d’un double regret : d’une part, vis-à-vis de l’emprise de la presse à scandale sur l’opinion publique (donnant la désagréable impression que le film adresse une leçon de morale), et de l’autre, en donnant un bref aperçu de ce qu’aurait pu être l’Amérique de Hart, qui met en relief les dysfonctionnements politiques et sociaux de notre époque (il faut voir comment les journalistes se gaussent, au début du film, de l’éventualité d’une élection de George Bush).
Fragments oubliés
Si le film ne s’écarte jamais des poncifs attendus pour ce type de reconstitution historique, il n’en reste pas moins porté par des partis-pris de mise en scène suffisamment affirmés pour rehausser la qualité globale du projet. Le récit tente ainsi d’emblée d’articuler le rapport de force entre pouvoir politique et pouvoir médiatique, comme le résume son plan d’ouverture. La caméra passe d’une camionnette-régie TV à la rue bondée de journalistes occupés à commenter le déroulement des primaires démocrates, jusqu’à l’intérieur de l’immeuble d’en face, où Hart échange avec son équipe. Aussi voyant soit-il, ce plan-séquence n’en restitue pas moins la parole en action, le cheminement de l’information et l’élaboration graduelle du récit médiatique (l’information brute, puis la formation du discours à mesure que s’agrègent de nouveaux éléments) : la caméra donne ainsi à voir les journalistes s’y reprenant à plusieurs reprises pour améliorer leur reportage.
La démarche, sur cet aspect précis, se révèle intéressante. En se concentrant sur un chapitre relativement négligé du roman national américain (mais qui avait scandalisé en son temps), le film passe par une double médiation : d’un côté, les reportages diffusés à l’époque, et de l’autre, les coulisses de la fabrique médiatique, dévoilées par l’emploi de chutes récupérées et inutilisées, tels du found footage (ce que pointe explicitement une séquence où le monteur cumule des extraits de « ratés » journalistiques, sûrement retrouvés dans des archives de chaînes télévisés).
Cette figuration de l’info en train de se disséminer, à défaut d’être fondamentalement originale, aurait pu suffire à assurer la réussite du projet, si elle n’était pas alourdie par un débat au ras des pâquerettes sur la question éthique (en gros, quelle légitimité revendiquer dans sa fonction lorsque sa vie privée détonne avec son image publique ?). C’est finalement dans sa mise en scène de la rumeur que le film s’avère le plus convaincant. Après avoir découvert les photographies compromettantes, l’un des journalistes se décide à aller confronter Hart, en pleine réunion avec ses collaborateurs. La scène, tournée en un plan-séquence, alterne entre cette réunion de travail au premier plan, le journaliste, bloqué par un collaborateur au second plan, et Lee, l’épouse de Hart, au téléphone. Au lieu, donc, de placer le journaliste et les photographies au centre de son dispositif scénographique, le réalisateur dilue toute la surcharge dramatique en reléguant l’objet de la rumeur au second plan. Lors de ces rares séquences, le film trouve sa raison d’être. Dommage, donc, que le reste ne soit pas vraiment à la hauteur.