The Story of G.I. Joe est-il un film de propagande ? Peut-il, s’il en est un, constituer dans le même temps une vision réaliste de la vie de la troupe américaine lors des campagnes d’Afrique du Nord et d’Italie ? Réalisé en 1944 avec d’authentiques soldats rescapés du front (ils seront pour la plupart décimés dans le Pacifique quelques mois plus tard), ce film était considéré par Samuel Fuller comme « le plus adulte et authentique » produit par les États-Unis sur la Deuxième Guerre mondiale. Dans un autre registre, Eisenhower, pour le moins concerné par le théâtre des opérations, l’estimait fort, et le spécialiste du cinéma américain Mickael Henry Wilson rappelait il y a peu que Clint Eastwood s’est en partie inspiré de ces « Forçats de la gloire » (les traducteurs français n’avaient décidément peur de rien !) pour son grand opus guerrier, Lettres d’Iwo Jima. Il en va ainsi de certains films, qui portent rétrospectivement dans leurs côtes bien des œuvres à venir (on pourrait ajouter Kubrick et Spielberg) et sur leurs poitrails un véritable tableau de chasse de louanges et d’hommages au pionnier. Certes, mais comment voir aujourd’hui cette histoire d’un « fantassin » (« G.I. Joe ») qui connut une telle fortune ? Le public des années 2000, sommé de croire qu’il s’agit là d’une œuvre réaliste, adulte et honnête sur la guerre, n’est-il pas en droit de considérer cette réalité recréée dans les environs de Los Angeles et les portraits de ces Yankees mi-grivois, mi-naïfs comme une vision peu réaliste au contraire de la dureté de la guerre ?
Boy next door
Il n’est certes pas question de faire un mauvais procès à ce film, qui à bien des égards (la belle image crépusculaire des premiers combats, le goût manifeste du réalisateur pour les gueules de ses acteurs, souvent cadrés serrés) assume avec brio de faire du cinéma avec une matière et dans des temps aussi terribles. Mais il est question d’interroger cet apparat vaguement encombrant qui colle à la peau de ce « G.I. Joe » en le vouant à une intention quasi documentaire sur la vie de la troupe pendant la Seconde Guerre mondiale. À la même époque après tout, John Huston, qui avait refusé la réalisation de ce projet, revenait du front avec les images bien réelles des combats de San Pietro, dont il faisait un véritable film documentaire. The Story of G.I.Joe se positionne quant à lui comme une œuvre de cinéma : tourné avec une future star encore discrète (Robert Mitchum, d’une brillante mélancolie face au correspondant de guerre Ernie Pyne), le film est destiné, en pleine guerre, à rendre hommage à un soldat largement idéalisé – foncièrement bon et brave, résolument patriote (superbe scène où une sirène radiophonique nazie tente de séduire la troupe, au sens propre, pour amener les jeunes soldats à déserter), inapte au vol, au mensonge, à la traîtrise, c’est à peine s’il connaît la peur (nous sommes encore loin de la terreur qui se lira sur les traits des soldats de Terrence Malick) et ses plaies ne sont jamais sanglantes (la mort, à tout prendre, est moins moche à l’écran). Homme-enfant immature, amoureux, partageur, avec ce qu’il faut de lubricité virile, ce fantassin a un profil type : c’est le boy next door que l’Amérique va exporter encore quelques années pour sauver l’humanité un peu partout à la surface du globe.
La colline des hommes perdus
De quoi remettre les choses à leur place : The Story of G.I. Joe est un film dont l’intention et le message sont peu ambigus. Mais il faut aussi accorder à cette œuvre le grand mérite de préférer une geste soldatesque presque intimiste (l’abri où les fantassins vivent entre deux assauts, partageant leurs peurs, leur folie et leurs espoirs de retour) à une vision épique d’une guerre qui n’a finalement lieu que par intermittence : la guerre, et l’absurde et cruelle bataille de Monte Cassino en est l’exemplaire illustration, c’est aussi toute cette vie lourde, lente, faite de piétinements, de marches sans fin, d’attentes buzzatiennes, de faim de femme, de viande et de tout… et c’est ce réalisme-là qu’il convient d’apprécier au-delà du didactisme sans doute obligé qui s’exprime trop souvent dans cette histoire du fantassin américain, irrémédiablement respectueux des églises en ruines, des prisonniers de guerre et des autochtones (très peu présents au demeurant).
Film important et imposant, fondé sur les authentiques chroniques du correspondant de guerre Ernie Pyle (qui revit dans le film sous les traits de Burgess Meredith), The Story of G.I. Joe est aussi le fruit d’une dramaturgie de la guerre et d’un mode de production qui ont fait date, même s’ils nous paraîtront aujourd’hui parfois désuets : si la postérité a davantage retenu un tout autre film de son auteur (A Star Is Born, 1937), William A. Wellman invente, avec R. Walsh et quelques autres, le fantassin de la Seconde Guerre mondiale, et ce G.I. n’est pas près de disparaître de l’imaginaire américain, qui est avant tout, comme chacun sait, cinématographique.