Tourné à Tokyo avec des acteurs japonais, Like Someone in Love est le troisième film du cinéaste iranien réalisé à l’étranger après Tickets et Copie conforme. La rencontre entre une jeune prostituée et son client, un professeur à la retraite, donne lieu à un discours sur celui qui aime ou du moins qui croit aimer.
Une soirée dans un bar tokyoïte. Akiko, une jeune étudiante qui se prostitue, refuse de se rendre chez un client malgré l’insistance de son souteneur : elle doit retrouver sa grand-mère qui l’attend à la gare. Mais il n’en sera rien, elle est obligée de céder et se retrouve, après un long trajet en taxi où elle s’endort, dans l’appartement cossu d’un professeur à la retraite. Elle y passe la nuit et une partie de la journée du lendemain, perturbée par l’irruption de son petit ami, un garagiste impulsif et violent.
Autour d’Akiko, figure centrale du film et vecteur de l’intrigue, gravitent trois personnages clés que sont la grand-mère, le petit ami et le client, liés chacun à leur manière à la jeune femme et incarnant trois attitudes amoureuses. Dans un esprit de sacrifice, la grand-mère attend une journée entière sa petite fille aux alentours de la gare, lui laissant de nombreux messages vocaux sur son portable où elle réitère son espoir de la voir sans lui faire de reproches. Le petit ami jaloux, lui, veut tout et tout de suite : sa fiancée doit lui appartenir, lui obéir et lui dire la vérité. Quant au client, certainement le personnage le plus complexe, il adopte une attitude retenue et bienveillante envers la jeune prostituée qu’il a « commandée », se comportant plus comme un brave grand-père que comme un vieil homme en mal d’affection.
Si le film comprend quelques caractéristiques propres au cinéaste comme les séquences en voiture, la thématique du leurre ou les jeux de reflets – dont l’effet le plus troublant est la séquence où la jeune femme couchée dans le lit de son client n’est visible qu’à travers son reflet dans le téléviseur éteint de la chambre à coucher, savant déplacement d’une belle endormie dans la réalité contemporaine – il innove au niveau de la forme, subordonnée à la complexité des personnages et de leurs interactions. En effet, le film confronte ces trois figures en les entremêlant au niveau du récit mais également en construisant leur rapport sur la présence et l’absence, traduits en termes cinématographiques par un jeu sur le hors-champ et la voix-off.
La séquence d’ouverture en est un exemple prégnant. Dans un bar animé des gens discutent ; en off, une voix féminine dont il est impossible d’identifier la provenance se débat avec un interlocuteur inaudible. Cette voix-off (qui deviendra in) est celle du personnage principal au téléphone avec son petit ami jaloux. La conversation téléphonique, appréhendée uniquement à travers la jeune fille qui en relate les détails à une amie, révèle déjà l’enjeu de cette relation de couple : l’impossibilité d’être ensemble causée par le doute, le mensonge et la possessivité. Le fait que le film s’ouvre sur une conversation téléphonique est d’autant plus révélateur que cet engin (le téléphone) acquerra une dimension quasi métaphorique des modalités relationnelles. En effet, il devient objet de contrôle permettant de donner libre cours aux pulsions de jalousie et de possessivité du petit ami (il lui demande de prendre en photo l’endroit où elle se trouve afin qu’il vérifie ses dires) mais également, pour la grand-mère, le seul lien avec sa petite-fille à qui elle laisse de tendres messages sur une boîte vocale et qui n’attend rien en retour.
Dans la même logique, le film comprend de petits faits énigmatiques comme l’apparition de la voisine dans le cadre de sa fenêtre racontant son amour déçu avec le professeur, certaine qu’ils auraient pu vivre une histoire (elle sera rappelée à sa triste réalité de femme seule par la voix de son frère handicapé dont elle a la charge) ou les « absences » du vieil homme qui s’assoupit au volant. Ces faits nimbent le film d’une atmosphère mystérieuse, voire onirique, qui font penser que cette rencontre n’était peut-être qu’une illusion ou un rêve (la jeune fille n’a‑t-elle pas dormi dans le taxi ?) aussi forts que ceux de l’amour. Car, comme son titre l’indique, Like Someone in Love ne traite pas de l’amour mais bien de l’illusion d’aimer et d’être aimé en retour. Ce qui dans le film revient au même.