Il serait trompeur de confondre l’épure de Mahamat-Saleh Haroun avec une transparence, ou d’en faire la marque d’une simplicité sans profondeur. Ce n’est guère le cas : dépouillé, Lingui, les liens sacrés l’est assurément, mais n’en demeure pas moins très varié dans sa forme, qui multiplie les ruptures de ton (par exemple : passage soudain d’une scène nocturne en extérieur à une scène diurne en intérieur), les débordements sonores (le souffle collectif d’un groupe de jeunes hommes qui viennent de sauver une adolescente de la noyade), ou encore les ellipses, pour mieux varier vitesses et registres. À première vue, Lingui avait pourtant tout du film « à programme » : Maria, une jeune femme enceinte, annonce à sa mère, Amina, qu’elle désire avorter. D’une génération à l’autre, un drame se rejoue, celui d’être mère trop tôt et d’accoucher d’un enfant qui ne connaîtra pas son père. Mais à rebours de ce postulat archétypal et de l’urgence qui le sous-tend (récolter la somme nécessaire pour un avortement illégal, affronter la pression et le jugement d’une société tchadienne patriarcale, etc.), Mahamat-Saleh Haroun choisit de prendre son temps. D’où un film qui déplie ses scènes, en considérant les spécificités de son décor pour donner corps au récit. En témoigne cette belle scène au milieu de l’intrigue, qui à la fois rappelle l’horizon du titre et en synthétise la trajectoire formelle. Il s’agit des retrouvailles entre Amina et sa sœur, venue lui demander de l’aide alors que sa fille est sur le point de subir une excision. Un pacte se dessine ; les deux sœurs ont besoin l’une de l’autre pour faire face à leurs difficultés respectives. La réunion apparaît de prime abord entravée : les deux femmes ont été trop longtemps éloignées, elles sont d’ailleurs séparées dans l’espace par un poteau scindant le cadre en deux. Il faudra un déplacement des corps et de la caméra, et par là une altération de la symétrie initiale de la composition, pour qu’elles enterrent la hache de guerre. Après lui avoir annoncé l’avortement prochain de sa fille, Amina reçoit de sa sœur un bracelet qu’elle pourra revendre. Ce motif du cercle déborde sur le plan suivant, avec un petit jouet pour chien accroché à une corde à linge. La ligne, puis le cercle ; la séparation, puis la réunion. La séquence figure de la sorte une collaboration sororale et la persistance des liens (sacrés), comme l’annonçait la scène d’ouverture – une fabrication de paniers en métal, constitués de fils de fer (des lignes) extraits de pneus de voiture (des cercles). Un tressage à l’image d’un film qui parvient à trouver, modestement, un équilibre entre la rigueur de son scénario et la souplesse de sa mise en scène.