Dans le champ actuel du cinéma d’épouvante, plusieurs voies distinctes se dessinent : une horreur presque expérimentale, reposant sur une esthétique du bug et de la fragmentation de l’image numérique (Unfriended, mais aussi la curiosité JeruZalem, direct-to-dvd intégralement filmé à l’aide de Google Glass), une horreur aux accents arty, à mi-chemin entre le cinéma de genre et le cinéma d’auteur (Get Out, Hérédité, It Comes at Night), des remakes ou des suites de classiques (on attend ainsi le Halloween de David Gordon Green), et enfin le cas de l’écurie de James Wan avec la franchise Conjuring. On en parlait déjà à propos d’Annabelle 2 : ce cinéma-là, contrairement aux autres, n’a aucune velléité de réinventer le genre. On y rejoue davantage une partition connue, claire, attendue, et l’enjeu ne tient qu’aux variations opérées sur des figures (surgissements, jump scares, chuchotements et apparitions d’ombres) déjà vues cent fois ailleurs. Cette branche, qui rejoue malgré un budget autrement conséquent la modestie des serials, cultive par là son académisme, reposant sur ce que l’on appelle communément des codes – par exemple : des croix, un château ou une maison délabrée (ici, un couvent roumain), des corbeaux, des pentagrammes, des exorcistes, etc. –, mais témoigne aussi d’une orthodoxie articulée cette fois-ci autour de principes.
Quel est la différence entre le code et le principe ? Dans La Nonne se trouve une scène (l’une des meilleures, qui apparaît à la toute fin de la bande-annonce) mettant en lumière ce qu’un film peut déployer à partir d’un canevas scénique archétypal. Une jeune religieuse arpente un corridor désert, dont le sol est tapissé d’une étrange brume. Soudain, un bruit à sa gauche. La caméra panote pour accompagner le regard de la femme, qui tourne la tête en direction d’un couloir adjacent. Personne en vue, seulement la pénombre. La caméra revient sur la jeune fille, qui reprend sa route dans le passage lugubre, et voilà que se tient derrière elle l’ombre d’une religieuse démoniaque. L’héroïne marche quelques pas, suivie par cette apparition, puis s’immobilise, se retourne, et découvre cette présence menaçante qui la talonne. C’est alors que surgit une deuxième ombre, de la bordure gauche du cadre, qui vient s’abattre sur la jeune fille. Comment s’organise la scène ? Autour d’une série de recadrages et de temps d’arrêts qui reconfigurent l’espace et la dynamique scénique, afin de préparer, dans le dernier temps, un surgissement à même de surprendre le spectateur. Tout repose, comme dans un tour de passe-passe, sur une logique de renversement : 1) d’abord un bruit à sa gauche, 2) puis une présence derrière l’héroïne, et 3) une attaque qui vient finalement de sa droite. Le procédé est vieux comme le monde, mais La Nonne, comme les autres Conjuring, prend l’affaire au sérieux et récite son petit bréviaire horrifique en cadrant, recadrant, malaxant les séquences pour affiner l’acmé à venir. On peut toutefois regretter que le processus (le principe) finisse à chaque fois par accoucher d’une apparition engluée dans une imagerie (le code), à l’image de cette séquence, décalque parfait d’une scène figurant déjà dans Conjuring 2, où une ombre se détache d’une croix pour glisser doucement, non sans beauté, sur le mur d’une chapelle en ruines. La conclusion ménage là encore une petite subtilité dans la mise en scène, un recadrage horrifique (l’héroïne aperçoit une silhouette dans un miroir, se retourne pour finalement ne rien voir, avant que la caméra panote sur son visage et qu’alors, de la profondeur, le reflet l’attaque), mais la pauvreté de l’image vers laquelle la trajectoire converge (un démon maquillé, les traits tirés) éclabousse l’ensemble du mouvement.