Get Out : voilà un titre malin, aussi programmatique que référencé, qui rappelle littéralement les accroches des nombreuses séries Z horrifiques des années 1970 et 1980, enjoignant les spectateurs à fuir la salle si la frousse devenait trop insupportable. On n’en attendait pas moins d’une production Blumhouse, devenu en une dizaine d’années le nouveau gourou de l’épouvante jetable et extrêmement rentable (Paranormal Activity, Insidious, American Nightmare et leurs suites), mais également le lieu d’expérimentations formelles parfois franchement réussies (The Bay, Unfriended) et le nouveau territoire de jeu d’un cinéaste jadis adoré, puis honni, puis de nouveau encensé : M. Night Shyamalan (The Visit et Split, les deux films de son grand retour en grâce, ont été produits par Blumhouse). Énorme succès critique et public, Get Out semble confirmer le flair de Jason Blum et sa bande pour la relève du cinéma d’horreur… du moins, en apparence.
Devine qui vient se faire étriper
« Get Out », à vrai dire, c’est plutôt ce que l’on aurait envie de hurler aux spectateurs dans la salle après une bonne heure plutôt réussie, afin de leur éviter la déception et la frustration d’une dernière demi-heure qui remet le film dans les charentaises élimées du gore plan-plan. Jordan Peele, dont c’est le premier film en tant que scénariste et réalisateur, est la moitié d’un duo comique plutôt populaire aux États-Unis. Rien ne pouvait vraiment laisser présager chez lui le désir de passer la question raciale à la moulinette du cinéma d’épouvante. Le concept est, disons-le, assez génial, comme une sorte de remake de Devine qui vient dîner à la sauce Rosemary’s Baby. Chris est invité par sa petite amie Rose à passer un week-end chez ses parents. Pour celle-ci, le fait que Chris soit noir est un détail qu’elle n’a pas jugé utile de préciser. À raison, d’ailleurs : Missy et Dean Armitage, bourgeois fortunés, intellectuels et démocrates, l’accueillent avec chaleur et sympathie. Rapidement, pourtant, le week-end familial se teinte d’étrangeté : des domestiques au comportement bizarre à la mère thérapeute qui le pousse à subir une séance d’hypnose forcée, tout pousse Chris à se demander s’il n’y a pas quelque chose de pourri au royaume des Armitage…
La grande réussite de la première partie du film est d’aborder frontalement les questions que pose son sujet et de les désamorcer les unes après les autres, de la même manière que la famille Armitage semble avoir réponse à tout. Pourquoi une famille qui se déclare si admirative du bilan d’Obama emploie-t-elle des domestiques noirs ? Est-ce que la défiance de Chris vis-à-vis de cette famille blanche et fortunée, si stéréotypée à ses yeux, ne relève pas de la paranoïa ? Jordan Peele déploie les ramifications de son thriller avec un sens aigu du divertissement et une connaissance parfaite des codes du genre, tout en amorçant une réflexion étonnamment ambiguë sur la question raciale aux États-Unis et ses répercussions sur le quotidien d’Américains pas si moyens. Car, si les Armitage sont des caricatures d’une classe supérieure blanche très à l’aise dans son rapport à l’Amérique noire, Chris est lui à rebours des clichés cinématographiques habituels sur la communauté afro-américaine : photographe prometteur de talent, il vit dans un grand appartement de standing et ne souffre d’aucun complexe de classe vis-à-vis de ses futurs beaux-parents. Un tel postulat permet ainsi à Jordan Peele de déconstruire les incontournables scènes d’exposition qui consistent à aborder le rapport entre Chris et la famille de sa compagne par le biais d’un rapport de force, ou plus précisément de déplacer ce rapport de force vers un autre sens de gravité. Chris n’est pas fou : quelque chose ne tourne pas rond dans cette famille. Mais alors, quoi ?
La maison des Drs Armitage
Jordan Peele, hélas, s’avère rapidement incapable de capitaliser sur ce postulat. C’est d’autant plus regrettable que le scénario file la métaphore de l’asservissement de la communauté noire par la classe dominante blanche par le biais d’une manipulation psychologique et morale, tout en étant fascinée par des attributs physiques qui lui font défaut. Il y avait là matière à déployer une horreur indicible, réellement terrifiante, devant laquelle Peele recule au fur et à mesure que son film avance, comme s’il était trop effrayé par l’ambitieuse complexité de son sujet. Le malaise ressenti devant certaines scènes de la première partie du film, résolument efficaces (les domestiques au sourire figé, l’assurance glaciale de la parfaite Catherine Keener lorsqu’elle hypnotise Chris pour « l’aider à arrêter de fumer »), est progressivement délaissé au profit d’un grand bazar gore et grotesque, ultra-balisé et prévisible. Pire, Jordan Peele se tire une balle dans le pied lorsqu’il fait dire à un de ses personnages, en réponse à Chris qui s’interroge à voix haute : « mais pourquoi les Noirs ? » : « oh, ça aurait bien pu être n’importe qui, ça n’a pas d’importance, c’est comme ça. » On en vient alors à se demander quel était pour le réalisateur l’intérêt de construire tout le propos de son film sur la question raciale, si c’est pour l’évacuer rapidement au détour d’une réplique aussi maladroite…