Après avoir sévi avec Insidious (2011) où il jonglait avec les références de façon plus ou moins heureuse, James Wan revient au film d’horreur avec Conjuring : les dossiers Warren. Cette fois-ci, il oublie la distance ironique pour nous plonger dans une histoire de maison hantée classique. En fan du genre, il exécute une partition sans fausse note, un peu sage mais bien terrifiante.
Dans les années 1970, à Harrisville, Roger et Carolyn Perron croient commencer une vie paisible dans une grande ferme achetée pour un prix modique. Mais la quiétude familiale est rapidement perturbée. Les cinq filles du couple sont bouleversées par d’étranges phénomènes nocturnes, alors que leur mère est couverte d’hématomes dont elle ne peut expliquer la source. L’absence temporaire de Roger, chauffeur routier, ne fait qu’amplifier le trouble de la maison et décide Carolyn à rencontrer les démonologues Ed et Lorraine Warren. Ensemble, ils vont découvrir l’ampleur d’un cas d’infestation démoniaque sans pareille.
Avec Conjuring : les dossiers Warren, James Wan joue la carte du premier degré et nous force à croire d’emblée au déchaînement de forces maléfiques, grâce à une longue séquence d’ouverture, très efficace, présentant des cas paranormaux traités par les Warren. Le montage parallèle entre les activités des démonologues et les premiers pas des Perron dans leur maison vient verrouiller la position du spectateur, happé dans une aventure surnaturelle où il ne connaîtra ni repos ni échappatoire. En plaçant son récit « inspiré d’une histoire vraie » dans les années 1970, James Wan peut s’autoriser tous les lieux communs du genre sans donner l’impression de clichés usés. Ainsi, Conjuring constitue un envoûtant voyage dans le genre par le respect de tous les principes narratifs, stylistiques et esthétiques du film de maison hantée. Les vieux trucs (claquements de porte, ombres fugitives, placards mystérieux, horloge capricieuse…) surprennent par leur usage calibré et crispent peu à peu les plus avertis. L’utilisation du hors-champ alimente la mécanique de la peur, tout comme la bande son où chaque bruit devient suspect. La musique de Joseph Bishara donne le tempo d’une tension indéfectible, alors que les décors et accessoires (poupée, boîte à musique) sont traités avec grand soin pour transpirer l’angoisse. Pas une minute de répit n’est permise dans ce film, où la tension monte avec une précision démoniaque dans la gestion du rythme, suivant trois étapes canoniques : infestation (le démon invisible bouleverse des petites choses du quotidien), oppression (la présence devient agressive et ruine les nuits et les jours de la famille), possession (le démon investit un corps féminin pour déchaîner sa rage).
Avec son esthétique vintage, Conjuring : les dossiers Warren ne se contente pas de jouer les madeleines de Proust pour amateurs de films d’exorcisme. Ce sous-genre du film d’horreur est investi en profondeur pour en explorer le potentiel discursif. Le film de maison hantée parle avant tout de la famille et interroge la place de chacun dans cette entité. Ici, comme dans les classiques du genre (L’Exorciste, Poltergeist), la famille est mise en crise par les présences démoniaques dans l’espace (normalement) protecteur du foyer. Mais Conjuring en propose une vision très radicale. Les personnages féminins sont exposés à la violence des esprits frappeurs, quand les deux pères (Warren et Perron) sont réduits à l’impuissance face aux démons qui hantent les filles et leurs femmes. Ed Warren (le pâlot Patrick Wilson) est désarmé face aux pouvoirs de medium de son épouse (une Vera Farmiga lunaire). Roger Perron (Ron Livingston) ne peut que regarder avec effroi le mal fait à ses filles, puis la transformation monstrueuse de son épouse Carolyn (l’impressionnante Lili Taylor). Mais les personnages masculins acceptent leur statut ingrat, ce qui en fait des êtres éminemment dramatiques. Sans aucun pouvoir, ils regardent l’horreur en face. En confrontant Roger à une épouse déformée par la possession démoniaque, Conjuring exploite à fond la dimension psychanalytique du genre, qui interroge « l’inquiétante étrangeté » du couple en tant qu’addition de deux altérités, de deux entités changeantes. Les Perron et les Warren viennent aussi incarner deux modèles familiaux opposés, mais sont pourtant construits comme les deux faces d’une même pièce, quand la fille Warren est visitée par l’esprit frappeur à des kilomètres de la maison hantée. Cette exploration des liens familiaux, noyau discursif du genre, est portée par une mise en scène au cordeau, où l’espace de la maison (avec ses chausses-trapes, armoires sans fond, réseau de couloirs secrets) devient un personnage maléfique en lui-même.
Conjuring : les dossiers Warren met l’entité familiale en pièces pour mieux la reconstituer dans un dénouement attendu, où l’image du père et de ses filles sur le perron apparaît superflue. La fin ouverte nous laisse sur une impression en demi-teinte en offrant la possibilité facile d’une suite. Mais elle n’étonne pas dans un film un peu scolaire, où l’on joue avec déférence la partition du genre. Film d’horreur classique, Conjuring : les dossiers Warren s’avère être malgré tout un exercice de style diablement réussi. James Wan prouve sa capacité à investir un champ cinématographique très codifié avec précision et efficacité. Il lui reste désormais à trouver sa singularité pour ajouter réellement sa pierre à l’édifice du genre. Mais ce n’est pas encore avec Insidious 2 (2 octobre 2013) et Fast and Furious 7 (prévu pour l’été 2014) qu’il aura le temps de se pencher sur la question…