Pour comprendre ce qui motive ce Halloween réalisé par David Gordon Green, il faut se pencher sur les trois temps de son prologue. Premier temps, premier plan, celui d’une horloge qui vient rappeler les quarante années écoulées depuis La Nuit des masques de John Carpenter, alors que le spectateur est sur le point de retrouver Michael Myers et Laurie Strode, toujours incarnée par Jamie Lee Curtis. Deuxième temps, deux journalistes approchent du « croquemitaine », vu de dos. Les tempes du « monstre » sont blanchies mais sa stature reste imposante. On lui présente son masque, ce visage blanchâtre sans expression caractéristique de la froideur du tueur, en lui sommant de se réveiller (« Dis quelque chose, Michael ! »). Troisième temps, celui du générique : le thème de Carpenter retentit, une citrouille ratatinée et aux contours dévorés par la moisissure retrouve seconde après seconde, par le truchement d’un effet numérique, sa forme et son éclat d’origine. La lueur qui éclaire le sourire grimaçant du légume acte le retour du mal, le jeu entre le chat (Michael) et la souris (Laurie) peut reprendre.
L’intérêt relatif de cette nouvelle mouture tient dans l’ambiguïté de son positionnement par rapport au film de Carpenter : ni tout à fait une suite ou un strict remake (le film rejoue pourtant peu ou prou la trame du premier volet), elle embrasse une troisième voie, celle du réveil. Se réveiller, pour le film, c’est au moins trois choses : a) d’abord renforcer le caractère mythologique des deux personnages, en faisant de Michael un colosse endormi pendant près de quarante ans et Laurie la prisonnière d’un cauchemar sans fin ; b) donner à voir les ravages de la stase : Laurie Strode est devenue une grand-mère dérangée et paranoïaque qui embarrasse son entourage, tandis que le fameux masque, désormais usé, inscrit les stigmates du passé sur le visage même du tueur ; c) repartir d’un nouvel élan en considérant que rien ne s’est passé au cours de cette longue absence. Exit donc les pistes narratives explorées dans les autres films de la franchise (par exemple : la parenté Michael-Laurie découverte dans Halloween 2) : rien ou presque ne semble avoir existé après l’évaporation du croquemitaine à la fin de La Nuit des masques.
Renversement
Cette démarche consciente du trio de scénaristes (David Gordon Green, Jeff Fradley et l’acteur Danny McBride) de s’attaquer à un mythe constitue pourtant le problème de cette version qui oublie que l’aura de Myers tient avant tout à sa dimension abstraite : ses vêtements sombres, son masque blanc, son aptitude à prendre possession de la caméra ou au contraire à peupler l’arrière-plan et disparaître d’un raccord à l’autre. Myers est d’abord une présence qui appréhende l’espace, prête à émerger de la pénombre (cf. ce plan canonique du premier volet où le visage blanc se détache des ténèbres) et dont la détermination maléfique juste avec le calme de ses pas, la précision de ses gestes et son absence presque totale d’émotions. Or, de ce monstre idéal de cinéma, David Gordon Green ne fait pas grand-chose, si ce n’est rejouer des scènes qui miment la minutie du découpage de Carpenter (les premiers meurtres où Michael, tuant mécaniquement à la chaîne, se révèle nettement moins patient que dans La Nuit des masques) ou qui renversent les temps forts du film d’origine. Cette fois-ci, c’est au tour de Laurie de traquer Myers dans sa propre maison, de disparaître alors que Michael guette son corps inanimé depuis le balcon, et c’est encore son visage qui surgit de l’ombre pour surprendre le serial-killer. Les coutures de ce petit jeu scénaristique, plutôt vain, se révèlent particulièrement visibles : Laurie est devenue le prédateur, le « nouveau Loomis » s’avère être un double maléfique de l’original et le film se referme sur le couteau du tueur tenu par l’une des survivantes, entérinant le renversement de l’intrigue.