En 2004, le président cannois Quentin Tarantino remettait le grand prix du jury à Park Chan-wook pour son Old Boy, faisant entrer le réalisateur sud-coréen dans la cour des grands. Dix ans plus tard, le métrage a droit à son remake américain mené par Spike Lee, metteur en scène passé lui aussi par la Croisette. Malheureusement, la version US se borne à reproduire à l’identique la trame narrative de l’original. Si l’exercice de style est appliqué et parsemé de quelques idées bien exploitées, il demeure bien loin de l’inventivité graphique et de l’amoralité de son prédécesseur.
Divorcé, père indigne, alcoolique, Joe Doucett (Josh Brolin) est un raté. Un soir de beuverie particulièrement appuyée, il est enlevé et se réveille après quelques heures de coma éthylique dans une chambre dont il ne sortira que vingt ans plus tard. Qui le séquestre et pourquoi ? Autant de questions qui hantent le personnage et qui seront au cœur de sa quête de vérité sitôt libéré. Aidé en cela par une jeune fille altruiste et amoureuse, il finira par découvrir son geôlier et ses motivations, mais la vengeance n’est peut-être pas celle qu’il imaginait.
Il est ardu d’évoquer Oldboy sans en déflorer la véritable portée. Construit comme une énigme, le film déroule sa logique interne sans que le spectateur soit pour autant en possession d’éléments explicatifs. Perdu comme le héros (en cela Spike Lee respecte le parti pris de Park Chan-wook), il se raccroche au peu de pistes qui lui sont offertes. Comme Doucett, qui garde contact avec le monde extérieur via la télévision de sa chambre, le public ne peut que croire ce qui lui est donné à voir. Or, au fil des révélations, les apparences s’avéreront trompeuses. Le choix d’intégrer un poste de télévision, non comme un simple gadget historique (les événements marquants de la fin du XXe siècle sont égrenés) mais surtout comme un fil informatif de la vie privée du héros se révèle une idée pertinente de la part de Spike Lee et non exploitée par le réalisateur coréen. En effet, Doucett découvre que son ex-femme a été assassinée (il est d’ailleurs considéré par les autorités comme coupable) mais surtout il suit par l’entremise d’une sordide émission l’évolution de sa fille, jeune orpheline devenue avec les années une violoncelliste de talent. Sa libération, tout aussi impromptue que sa capture, lui offre à la fois l’occasion de sa vengeance (retrouver le commanditaire) et celle de sa rédemption (redevenir un père pour son enfant).
Tandis que Lee ne prend aucune liberté avec les séquences ultra-violentes qui ont marqué les esprits (le travelling latéral de dézingage au marteau par exemple), il s’émancipe de son modèle grâce aux différents niveaux de réalités qui irriguent son film (jeu sur l’illusion, différentes époques qui se télescopent…). Moins poétique et esthétique, Oldboy version 2014 parvient ainsi à augmenter le trouble lors de la révélation finale grâce à une roublardise jouissive de la part d’un faiseur d’images. Un tour de force quand on connaît la morale de l’histoire.
Bien que Spike Lee se détache avec succès de son modèle à quelques reprises, il échoue à clore son film avec l’amoralité bouleversante assumée par Park Chan-wook. Alors que le héros coréen préférait oublier, l’Américain s’enferme dans sa douleur et dans un acte de contrition très chrétien. Si on ignore le statut de remake d’Oldboy, on peut considérer que Spike Lee a réussi un très bon revenge movie. Dans le cas contraire, son vieux garçon se contente d’imiter la déflagration émotionnelle et scopique de l’original, sans le génie et le panache.