Retour en fanfare à Cannes pour Spike Lee, qui n’avait plus mis les pieds en sélection officielle depuis 1989 avec Do the Right Thing, son meilleur film à ce jour. Un classement que ne risque pas de remettre en cause BlacKkKlansman, qui entérine l’académisme d’un réalisateur persuadé que le cinéma est au service de la cause qu’il s’est choisie, sans se poser une minute la question de savoir si le cinéma, lui, peut y gagner quelque chose en retour. Cette cause, c’est bien sûr la défense des droits des Noirs américains, qui a essuyé bien des revers depuis la fin du mouvement des droits civiques, au début des années 1970, marquée par la dissolution des Black Panthers. C’est pourtant en 1978 que le film est censé se dérouler, ce qui soulève déjà la question de sa cohérence chronologique, puisque le nationalisme noir relève déjà de l’histoire ancienne au moment où débute l’invraisemblable « true story » de Ron Stallworth, flic noir « infiltré » chez les suprémacistes du Ku Klux Klan de Colorado Springs.
Les guillemets sont de rigueur, puisque Stallworth (interprété par John David Washington, le fils de Denzel), après avoir répondu à une annonce publiée par l’antenne locale de cette confrérie raciste, est contraint de faire équipe avec un collègue blanc, Flip Zimmerman (Adam Driver), chargé de se faire passer pour lui auprès des membres de « l’organisation ». Tandis que Zimmerman est soupçonné par l’un d’entre eux d’être juif (à raison), Stallworth devra de son côté dissimuler sa profession à la militante afro-américaine dont il s’est entiché lors d’une première mission undercover chez de jeunes Noirs acquis au Black Power, sous peine de passer à ses yeux pour un « porc ». Les nécessités de l’enquête faisant loi, cette trame narrative offrait à Lee matière à une comédie satirique riche en quiproquos désopilants, à même de faire rejaillir l’absurdité au fondement du projet raciste et ségrégationniste, dont la virulence ne s’est pas démentie aux États-Unis.
Le problème, c’est que BlacKkKlansman, lesté d’un didactisme aux semelles de plomb, se sent obligé d’illustrer son propos de la plus conventionnelle des façons. Par exemple en recourant à un montage alterné qui s’articule autour de la projection de Naissance d’une nation, simultanément chez les adhérents du Klan et les activistes noirs. À ces derniers, Harry Belafonte en personne explique que D.W. Griffith a contribué à la résurrection du KKK. Il a aussi inventé le montage alterné, mais de cette réappropriation, Lee ne fait qu’un usage strictement pédagogique, jamais un moyen d’élever sa propre mise en scène, phagocytée par l’esthétique télévisuelle. Pour ne rien arranger, il cite à comparaître les images des tragiques évènements de Charlottesville en août 2017 et des déclarations subséquentes de Donald Trump (« Agent Orange », comme s’amuse à l’appeler Lee) et de David Duke, ex-«Grand Wizard » du KKK, alors qu’elles sont dans tous les esprits à partir du moment où le film s’est enclenché. Comme s’il fallait, tel Michael Moore, surligner rageusement ce que le spectateur peut aisément déduire.
Forcément, cet insistant « vouloir-dire » se fait au détriment de la comédie, qui manque cruellement de tempo, même si elle prête à rire ici et là. En vérité, Lee n’assume pas véritablement le sous-genre auquel il se frotte ici (le buddy movie policier), perdant au passage de vue que la légèreté de ton l’emporte souvent sur le volontarisme le mieux intentionné. Nul doute qu’au jeu des comparaisons, le pourtant surcoté Get Out ressortira gagnant, auréolé d’une forme allégorique qui avait au moins le mérite de laisser hors champ tout bagage citationnel superflu.