Réalisateur peu prolifique, Henry Cornelius a cinq films à son actif, des comédies de bonne tenue parmi lesquelles se distingue particulièrement Geneviève, en 1953. C’est le studio Ealing qui lui donne l’occasion de faire ses premières armes, avec Passeport pour Pimlico, qui tient une place de choix dans la série des comédies qui font, aujourd’hui encore, la réputation du studio londonien. Compendium des valeurs humanistes et bon enfant attachées au studio, Passeport pour Pimlico sort alors que l’après-guerre anglaise déchante : l’utopie, née de la victoire contre l’Allemagne, n’est plus si convaincante, et les tensions sociales, liées à la grande pauvreté d’une part de la population et au rationnement toujours pensant, s’exacerbent. L’utopie Pimlico tente d’offrir une alternative crédible : à défaut, celle-ci est tout à fait charmante.
En plein feuilleton
Michael Balcon, à la tête des studios Ealing au moment de la sortie de Pimlico, voulait y voir « une pause agréable dans le cours normal des évènements ». L’aspect très feuilletonnesque de l’argument est sans nul doute parfaitement légitime, dans ce cas : en plein processus de reconstruction, le quartier de Pimlico à Londres voit son quotidien changer lorsqu’on découvre un trésor dans son sous-sol. Propriété du duché de Bourgogne, le trésor renferme une révélation : le quartier est lui aussi terre bourguignonne ! Par conséquent, il ne tombe sous la coupe d’aucune loi anglaise, particulièrement pas celles relatives aux taxes commerciales, ou au rationnement. C’est bientôt le chaos, tandis que les fiers Anglais du quartier de Pimlico brandissent fièrement leur nationalité nouvellement découverte.
Face aux utopistes souriant de Pimlico-Bourgogne, les représentants de la couronne (dont Basil Radford, habitué des rôles de constipés hiérarchiques avec son personnage dans Whisky à gogo !) constituent l’ennemi, un ennemi divisé en ministères, tous préoccupés de refiler la patate chaude aux officiels voisins. Après tout, la révolte de Pimlico est des plus difficile à réprimer : à ces gens ont été rendues la dignité et la joie de vivre. Nul doute qu’une telle utopie parlait-elle particulièrement aux Londoniens de l’époque : elle est également l’expression d’une forme de candeur chez Ealing. En effet, le studio va, au fil des années, capitaliser sur son côté anarchiste-gentleman pour finir par tenir un discours un tantinet réac. Mais pour l’instant, rien de tout cela : en république séparatiste de Pimlico, on se prend à rêver.
Bourgogne année zéro
Avec un sens du pastiche délicat, Henry Cornelius s’amuse à mettre son film en scène selon les codes du cinéma néoréaliste. Au milieu des ruines, il capture avec légèreté des moments dont on perçoit pourtant bien le poids quotidien : ainsi, le film est-il dédié en préambule à une carte de rationnement, soigneusement placée au centre d’une couronne mortuaire. Cornelius soutient avec force son propos : faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Aussi le film va-t-il se concentrer avant tout sur des portraits plus ou moins pittoresques : la marchande de vêtements accédant aux responsabilités, le banquier brimé trouvant son courage, le bookmaker agissant enfin au grand jour… En revanche, nulle véritable attention portée aux conséquences réalistes de l’état d’anarchie dans lequel vivent soudainement les habitants du quartier – la fin du film s’en ressent d’ailleurs fortement, expédiée et un rien bâclée… Pour autant, Henry Cornelius et le scénariste T.E.B. Clarke savent créer des moments touchants et inattendus, où ressortent une humanité rêvée. Ce néoréalisme à l’anglaise se payait encore le luxe de croire en l’humain, et dans une capacité atavique à vouloir le bien de son prochain.