Les gens de l’île de Todday sont des gens simples, nous dit-on en préambule de Whisky à gogo !, « des gens simples, aux plaisirs simples » : illustrant cette voix-off, une ribambelle d’enfants en bas âge. Mais cette légère grivoiserie n’est, bien entendu, qu’un effet d’association, certainement nullement volontaire : le véritable plaisir dont il est question est bien celui de la dive bouteille. Grands consommateurs de whisky, les habitants de l’île font face à une terrible situation : l’alcool vient à manquer ! Et en cette période de rationnement, ce ne sont pas les malheureuses quatre bouteilles allouées par les autorités au pub local qui vont satisfaire les gosiers parcheminés. Alors, lorsque le S.S. Cabinet Minister s’échoue au large de l’île, avec à son bord 50.000 caisses de whisky, les locaux se réjouissent. C’est compter sans le capitaine Waggett, de la milice locale, bien décidé à empêcher le pillage de l’épave, qui reste tout de même un acte illégal…
Le bleu d’Écosse
Alexander Mckendrick n’a encore réalisé aucun film lorsqu’on le propulse aux commandes de Whisky à gogo !. La raison de cette promotion ? Né aux États-Unis, il est d’ascendance écossaise. Vu que le film repose largement sur le rire appliqué aux préjugés raciaux, il est sans nul doute tout indiqué, semble-t-on avoir pensé chez Ealing. Un peu perdu, le jeune réalisateur va vivre l’enfer pendant le tournage : filmé en décors naturels, le film dépasse de cinq semaines les dix semaines de tournage prévues suite à des conditions météorologiques catastrophiques, son budget explose, tandis que Mackendrick lui-même ne se sent absolument pas inspiré. Gentiment démonstratif, donc, est son traitement du sujet, reposant avant tout sur le burlesque de l’opposition entre le capitaine Waggett, authentique benêt de théâtre, et les insulaires assoiffés, et sur les rebondissements joviaux orchestrés par le script lors de la deuxième partie, tout entière centrée sur la course poursuite entre les gendarmes et les voleurs. Seules les scènes impliquant une composante romantique semble l’avoir inspiré : le rythme s’allège, on prend le temps de s’intéresser à des personnages – le tout porté par la voix de satin de Joan Greenwood, sorte de whisky pour l’oreille, et qui semble fasciner le réalisateur.
Comique racé
Pour autant, le film ne réserve qu’un rôle accessoire aux femmes : l’alcool, c’est une affaire d’hommes. Un rien sexiste, le film est aussi raciste au sens littéral : c’est une question de lutte des races. D’un côté, les habitants de l’île sont donc voulus comme des Écossais caricaturaux, tandis que le capitaine Waggett est un Anglais bon teint, pétri de morale rigide et stricte. On prête cependant cette citation à Alexander Mackendrick, qui éclaire le film sous un nouveau jour : « je me suis rendu compte que le plus Écossais des personnages de Whisky à gogo ! n’est autre que Waggett l’Anglais. Il est le seul puritain, calviniste – tous les autres ne sont pas écossais, mais irlandais ! ». Le triomphe final de l’ingénuité têtue des Irlandais/Écossais contre l’esprit bureaucratique imbécile de l’Anglais local peut donc étonner, mais le succès du film à l’époque dénote bien la capacité à l’autodérision du public britannique. Waggett est un personnage typique de la dynamique des comédies Ealing : l’expression d’une autorité aveugle, imbécile et rigide, incapable de s’affronter à une situation qui ne rentre pas dans ses cases. Typique en cela des comédies Ealing, Whisky à gogo ! charme avant tout par ses seconds rôles, que ce soit Joan Greenwood, Wylie Watson ou la myriade d’extras, tous amateurs, recrutés sur l’île même où a été tourné le film. Du cinéma populaire, littéralement.