Lorsqu’il revient derrière la caméra pour son deuxième film pour les studios Ealing, Alexander Mackendrick fait montre de beaucoup plus d’assurance : suffisamment pour laisser transpirer un sens aigu de la satire délicate, et pour tourner le dos à l’ethos traditionnel des studios Ealing dans une comédie à la noirceur peu commune – et qui annonce le formidable Tueurs de dames.
Alors que sort L’Homme au complet blanc, l’Angleterre connaît un glissement politique, de l’austérité menée par les socialistes après guerre vers le règne des Tories. Avec une terrible lucidité, Alexander Mackendrick, scénariste aux côtés de Roger MacDougall et John Dighton, donne dans ce film un féroce coup de pied dans la fourmilière politico-économique et laisse son auditoire sans morale ni message : ainsi, le réalisateur disait-il que « chaque personnage a été créé pour être la caricature d’une attitude politique : communisme, syndicalisme, romantisme, libéralisme, capitalisme éclairé ou non (…). Même le personnage principal est une caricature comique de la science éclairée. » Nous voici donc en présence de Sidney Stratton (Alec Guinness), génie de la chimie en passe de trouver la formule d’un tissu indestructible et qui ne peut se salir. Plongé dans son monde de science théorique, Sidney s’imagine, tel un Tesla textile, offrir à chacun et chacune de quoi se vêtir, sans percevoir que le lobby concerné, comme les syndicats du secteur, ne l’entendent pas de cette oreille.
L’innocence létale
Philip Kemp définit ainsi une constante de la filmographie d’Alexander Mackendrick : des personnages représentant l’innocence qui tue. Ainsi, Sidney Stratton en est-il un exemple parfait (avec la vieille dame des Tueurs de dames) : inconscient de la portée sociale de ses recherches, il semble être porteur de mort pour tout une industrie. Mais est-ce bien le cas ? Dans une séquence-clé, Alexander Mackendrick scrute le visage d’Alec Guinness, alors qu’il en vient à comprendre, enfin, de quoi il pourrait être responsable. Auparavant cantonné dans des mimiques de savant lunaire et hors du monde, Guinness a à ce moment les yeux perdus dans le vague. Puis, il comprend les implications de son comportement… et décide de poursuivre malgré tout. Le doux rêveur n’est plus protégé aux yeux du réalisateur par son innocence, si tant est qu’il l’ait jamais été. Sidney Stratton va rejoindre le catalogue des caricatures vachardes déjà énoncées : les lobbyistes, un patron lâche, des syndicalistes toujours prêts à s’enfoncer dans leurs contradictions sociales…
Dès lors, le personnage le plus intéressant s’avère être celui de Joan Greenwood, presque le seul exemple d’une femme volontaire, émancipée, revendiquant sa sensualité et en jouant sciemment dans la série des comédies Ealing. Lors d’une scène centrale, le réalisateur l’enveloppe de façon sulfureuse, la surveille avec intensité, pour choisir finalement de ne pas se prononcer sur elle – on ne saura jamais vraiment si elle est aussi veule que les hommes. L’Homme au complet blanc présente ainsi plusieurs exemple de scènes formidables, sommets dramatiques dans une structure comique de pantalonnade – la plus émouvante restant celle de la curée finale, où un Sidney Stratton désormais privé de la caution de son innocence regagne un peu la faveur de l’auditoire, alors qu’il est littéralement mis à nu par une foule en furie. Animal blessé et barbare, le monstre-foule est alors aussi menaçant que celui du finale de M le maudit, et le regard d’Alexander Mackendrick aussi fort que celui de Fritz Lang.