Performance rend pour la première fois visite aux salles françaises, trente ans après son tour de piste délicieusement décadent aux États-Unis. Charriant dans ses bottes de cuir une jolie réputation, le film avait déjà connu une réédition DVD il y a trois ans. Nul doute que cette ressortie signée Splendor Films parachèvera cette canonisation un tantinet surfaite. S’il est farci de singulières expérimentations esthético-narratives, le film peut décevoir. L’aura accolée au scandale provoqué par le film en 1970 et son cheminement underground l’ont sans doute rendu plus subversif qu’il ne l’est vraiment.
La genèse de Performance est peut-être plus compliquée que le fil dysnarratif qui le sous-tend. Donald Cammell, un peintre voyageur et noceur, se met en tête de réaliser un film, il l’écrit mais peine à le mettre en scène. Appel est fait à Nicolas Roeg, chef-opérateur chez Lean, Truffaut et Corman (triplette éclectique), afin de corriger maladresses et atermoiements du débutant. Monstre à deux têtes, Performance est de ceux qui veulent choquer le bourgeois : meurtres, sang giclé à flots bouillants, sexe frontal, consommation de drogues ostentatoire, moite nudité… La légende raconte même que la femme d’un grand ponte de la Warner en a vomi son quatre-heures lors d’une projection-test. Suite à cette malheureuse souillure, la compagnie a retardé au maximum la sortie du film, non sans avoir taillé dans le lard au montage et expurgé ce qui aurait incommodé la Reine-Mère.
Performance, c’est aussi – et surtout, diront certains – la première apparition au cinéma de Mick Jagger : lèvres charnues et androgynie troublante sont au rendez-vous. Se dandinant dans ses apparats de rocker maudit, il vrombit et susurre à merveille. Et se paie même le luxe de poser sa voix sur le fameux «Memo from Turner», pic éblouissant du film. Turner, c’est son nom de star déchue, est retiré dans une vieille masure de Notting Hill, tabassée par les effluves narcotiques et les atteintes luxurieuses de ses occupants. Pherber (incarnée par Anita Pallenberg, compagne de Keith Richards) et la Française Lucy partagent gîte, lit et seringue avec Turner. On ne découvre tout ce petit monde qu’après une demi-heure, histoire de bien faire monter la sève chez les fans des Rolling Stones. Le prologue gravite autour de Chas (James Fox, Kevin Bacon du pauvre), petite frappe affiliée à un gang de liquidateurs. Après avoir commis un fâcheux impair, il est poursuivi par ses anciens employeurs et se réfugie dans la mansarde du sous-sol de Turner, presque par hasard. Pensant avoir trouvé une bonne planque, Chas s’installe et s’imprègne de l’atmosphère…
Réévaluer le statut d’un film culte n’est pas chose aisée, on parle souvent plus de sa représentation ou de sa marque dans le contexte de production, rarement de ses qualités propres, pour tenter souvent de masquer ses propres déceptions. Performance n’est pas à proprement parler un grand film, il n’est pas exempt de redondances ou de scènes inutiles, il a cependant ce charme des clichés un peu surannés, témoins d’une époque révolue. On peut toutefois préférer les productions du Free Cinema tout juste antérieures, moins ostensiblement frondeuses mais, peut-être, plus percutantes.
Le récit n’est précisément pas ce qui donne son attrait à Performance. Se jouant des codes du polar britannique classique, Cammell a essoré au maximum le nœud narratif et n’en a retenu qu’un squelette autour duquel se déploient des expériences sonores et visuelles saisissantes, et qui sont, finalement, les seules ambitions des co-réalisateurs. La technique du cut-up, forme de montage juxtaposant des phrases ou des images sorties de leur continuité temporelle, est assez systématique pour prendre corps et s’insérer harmonieusement à la construction du sens. Cette jonction d’éléments disparates crée repères et sensations, comme dans un livre de Burroughs – dont le nom semble courir en long et en large de la pellicule, à tel point qu’un Docteur Burroughs est ironiquement cité par Jagger. En sus du jeu du collage à l’intérieur même de leur film, les cinéastes ne se privent pas de raccommoder d’autres pièces rapportées, à l’instar de l’évocation du « démon perdu » de Turner : Jagger avait écrit quelques mois auparavant la musique entêtante de Invocation of My Demon Brother de Kenneth Anger, lui-même collage d’un ancien film du cinéaste expérimental… Performance a l’inestimable qualité de nous rappeler le chemin des contre-allées.