Grand écart géographique entre Alaska et Caraïbes, acteurs confirmés (Gene Hackman, Joe Pesci) partageant l’écran avec un second couteau sans carrière (le fameux « maniac » Joe Spinell), certaines séquences proprement hallucinantes et d’autres dignes d’un nanar, ce n’est rien de dire qu’Eureka navigue entre deux eaux. Réalisé par Nicolas Roeg en 1983, le film s’éparpille deux heures durant sans fil conducteur solide. Que raconte Eureka ? On est bien en mal de le dire, et pourtant quelques fulgurantes images à la beauté vénéneuse justifient à elles seules la découverte de cet étrange et inégal long-métrage.
En 1925, après plus de quinze ans de recherche, Jack McCann (Gene Hackman) trouve dans le Grand Nord une immense mine d’or. Vingt ans plus tard, devenu millionnaire, il vit cloîtré dans sa demeure sous le soleil des Caraïbes, entre sa femme alcoolique et un gendre qu’il déteste. L’accroche a de quoi rebuter mais dès les premières secondes, on comprend que cette trame narrative n’est qu’un prétexte à mettre en image des situations cauchemardesques, des trips violents et perturbants. L’époque canadienne livre des souvenirs de Jack, brutaux (une balle dans la tête à bout touchant) et malsains (des dialogues et des situations à la limite de la pornographie), difficilement appréhendables, sans contexte, ni explication. Délibérément obscur, Eureka frôle même parfois le ridicule lorsque le héros balance des phrases ineptes (« l’or sent plus fort que la femme », voilà une phrase qui mérite qu’on s’y arrête…). Quelques indices seront égrenés, éclairant progressivement la séquence initiale et donnant sa symbolique au dernier tableau horrifique du film.
Sans doute la densité des grands espaces glacés et le sous-texte sexuel servent-ils la mise en scène de Roeg lors de la première partie, car une fois le changement d’époque et de lieu accompli, Eureka peine à s’extirper du piège scénaristique nanar qu’il a lui-même initié. Le conflit qui oppose Jack, sa fille et son beau-fils nourrit la trame mélo hystérique, tandis que les manigances d’un mafieux local fournissent le carburant à un film de gangsters sans beaucoup d’envergure. Ce traitement bicéphale, maniéré (un zoom toutes les cinq minutes se révèle vite un truc gratuit de réalisateur poseur) suscite parfois l’agacement, mais alors, inopinément, une scène singulière se fraye un passage. L’un des moments les plus puissants d’Eureka est de ceux-là : Roeg invite le public à une soirée vaudou, une sorte de bacchanale spiritiste et charnelle, charriant des images crues et fascinantes.
Tel un pendule, le spectateur oscille ainsi entre ennui, étonnement, perplexité et plaisir scoptophile. Sans être une réussite, Eureka recèle quelques pépites visuelles et montre, s’il en était encore besoin, le talent de Gene Hackman. Étonnant dans ce numéro d’homme désabusé, paranoïaque et suicidaire, il est sans doute le grand acteur oublié de sa génération, celle du Nouvel Hollywood (Bonnie and Clyde, French Connection ou encore Conversation secrète), période qui marqua l’avènement de réalisateurs tout-puissants, au détriment de leurs comédiens. Hackman aurait pourtant mérité cette starification. Il n’est jamais trop tard…