On entre dans Praia do Futuro (plage du futur en français) au son des accords écorchés du groupe Suicide alors que, dans un désert parsemé d’éoliennes, deux motards font vrombir leur moteurs sur les dunes. Avec cette introduction offrant un choc visuel et sonore entre l’incroyable paisibilité du paysage et les accélérations nerveuses des motos, le film annonce d’emblée ce qui le travaillera de bout en bout : la dissonance ou l’adéquation entre les lieux et ceux qui les occupent ou les traversent. Des corps aux décors, le cinéaste brésilien Karim Aïnouz ausculte et cartographie notre époque.
Futur en sursis
La praia do futuro du titre longe le nord de la côte brésilienne, en bordure de l’importante ville de Fortaleza. Dans les années 1970, tout un quartier émergea autour de cette plage avant que, progressivement, on ne s’aperçoive que l’air marin – le deuxième plus salé derrière celui de la mer morte – grignote petit à petit ce projet tourné vers l’avenir. Maisons et matériel s’évanouissent silencieusement comme l’explique Donato (Wagner Moura) à son amant allemand Konrad (Clemens Schick), qui lui reproche ensuite de parler sans considération pour le fait qu’il vient de perdre un très bon ami, noyé dans les vagues au large de la praia do futuro. Pourtant, la tonalité mélancolique de l’exposé de Donato sur la dissolution d’une utopie urbaniste n’est, dans une certaine mesure, qu’une autre face d’un sentiment partagé avec l’endeuillé Konrad. Dans le décor balnéaire où s’épanouissent les corps virils des surveillants de plage, un seul corps manque à l’appel (celui du noyé) et c’est soudain toute une histoire sentimentale en devenir qui semble sur le point de s’éteindre : enfin résigné à l’idée que jamais son ami ne sera retrouvé, Konrad s’apprête à quitter le Brésil et son amant.
Disparitions et métamorphoses
De l’autre côté de l’océan, sans que cela n’ait été annoncé, on retrouve finalement les deux amants ensemble à Berlin. Cette fugue impromptue de Donato, rythmée par trois chapitres dont les titres organisent un parcours allant d’une sensualité morbide à une désintégration charnelle (« L’Étreinte du noyé », « Le Héros coupé en deux » et « Un fantôme qui parlait allemand »), offre l’occasion à Karim Aïnouz de faire varier sa palette chromatique entre les couleurs chaudes de la praia do futuro et la grisaille de la métropole allemande. Mais, surtout, par le biais d’un montage elliptique, la disparition du protagoniste brésilien prend la forme d’une courbe convexe, plongeant avant de refaire surface – à l’image de l’excellent nageur qu’est Donato, surnommé « Aquaman ».
À chaque basculement, les corps changent de lieux, le temps passe et la disparition des personnages s’affirme comme la modalité d’une métamorphose physique : les visages des amants désormais séparés accueillent quelques moustaches ou barbes nouvelles, mais c’est surtout le retour dans le récit d’un Ayrton vieilli, le petit frère de Donato aperçu sur la plage alors qu’il n’a que dix ans, qui illustre le plus évidement un bond temporel de huit ans. Devenu un jeune homme – un autre homme serait-on même tenté de dire puisque deux acteurs se passent le relais –, il fait irruption à Berlin pour retrouver son aîné. C’est à ce moment, dans le troisième chapitre, que le projet liant lieux et corps commence à s’évanouir au profit d’une sorte de flou un peu pompeux, offrant l’impression que le film s’enlise dans des intentions de moins en moins claires alors que les situations ne sont pourtant pas si ambiguës. Ambitieux visuellement (lors des scènes aquatiques du début notamment), mais perdant en intensité à mesure qu’il avance, la force de Praia do Futuro en finit par ressembler un peu à la plage en proie à un air érosif dont le film tire son titre : ses airs évasifs, façon de mieux faire « auteur », finissent par le ronger un peu de l’intérieur.